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GÉOMÉTRIE.

cord ; mais il ne suit point de là que vos lignes courbes puissent passer entre deux lignes qui se touchent.

— Elles y peuvent passer, répondra le maître, parce que G H est un infiniment petit du second ordre.

— Je n’entends point ce que c’est qu’un infiniment petit, dit l’enfant ; » et le maître est obligé d’avouer qu’il ne l’entend pas davantage. C’est là où Malezieu s’extasie dans ses Éléments de géométrie. Il dit positivement qu’il y a des vérités incompatibles. N’eût-il pas été plus simple de dire que ces lignes n’ont de commun que ce point C, au delà et en deçà duquel elles se séparent ?

Je puis toujours diviser un nombre par la pensée ; mais suit-il de là que ce nombre soit infini ? Aussi Newton, dans son calcul intégral et dans son différentiel, ne se sert pas de ce grand mot ; et Clairaut se garde bien d’enseigner, dans ses Éléments de géométrie, qu’on puisse faire passer des cerceaux entre une boule et la table sur laquelle cette boule est posée.

Il faut bien distinguer entre la géométrie utile et la géométrie curieuse.

L’utile est le compas de proportion inventé par Galilée, la mesure des triangles, celle des solides, le calcul des forces mouvantes. Presque tous les autres problèmes peuvent éclairer l’esprit et le fortifier ; bien peu seront d’une utilité sensible au genre humain. Carrez des courbes tant qu’il vous plaira, vous montrerez une extrême sagacité. Vous ressemblez à un arithméticien qui examine les propriétés des nombres au lieu de calculer sa fortune.

Lorsque Archimède trouva la pesanteur spécifique des corps, il rendit service au genre humain ; mais de quoi vous servira de trouver trois nombres tels que la différence des carrés de deux, ajoutée au cube des trois, fasse toujours un carré, et que la somme des trois différences ajoutée au même cube fasse un autre carré ? Nugæ difficiles[1].

  1. Dans la géométrie, comme dans la plupart des sciences, il est très-rare qu’une proposition isolée soit d’une utilité immédiate. Mais les théories les plus utiles dans la pratique sont formées de propositions que la curiosité seule a fait découvrir, et qui sont restées longtemps inutiles sans qu’il fût possible de soupçonner comment un jour elles cesseraient de l’être. C’est dans ce sens qu’on peut dire que dans les sciences réelles, aucune théorie, aucune recherche n’est vraiment inutile. (K.)