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HEUREUX.

Il en est de même des primitifs appelés quakers, dont nous avons tant parlé[1]. On les a pris pour des hommes qui ne savaient que parler du nez, et qui ne faisaient nul usage de leur raison. Cependant il y en eut plusieurs parmi eux qui employaient toutes les finesses de la dialectique. L’enthousiasme n’est pas toujours le compagnon de l’ignorance totale ; il l’est souvent d’une science erronée.


HÉRODOTE, voyez DIODORE DE SICILE.


HEUREUX, HEUREUSE, HEUREUSEMENT[2].


Ce mot vient évidemment d’heur, dont heure est l’origine : de là ces anciennes expressions, à la bonne heure, à la mal-heure ; car nos pères n’avaient pour toute philosophie que quelques préjugés ; des nations plus anciennes admettaient des heures favorables ou funestes.

On pourrait, en voyant que le bonheur n’était autrefois qu’une heure fortunée, faire plus d’honneur aux anciens qu’ils ne méritent, et conclure de là qu’ils regardaient le bonheur comme une chose très-passagère, telle qu’elle est en effet. Ce qu’on appelle bonheur est une idée abstraite, composée de quelques idées de plaisir : car qui n’a qu’un moment de plaisir n’est point un homme heureux, de même qu’un moment de douleur ne fait point un homme malheureux. Le plaisir est plus rapide que le bonheur, et le bonheur que la félicité. Quand on dit : Je suis heureux dans ce moment, on abuse du mot ; et cela ne veut dire que : J’ai du plaisir. Quand on a des plaisirs un peu répétés, on peut dans cet espace de temps se dire heureux. Quand ce bonheur dure un peu plus, c’est un état de félicité. On est quelquefois bien loin d’être heureux dans la prospérité, comme un malade dégoûté ne mange rien d’un grand festin préparé pour lui.

  1. C’est aux quakers que Voltaire a consacré les quatre premières de ses Lettres philosophiques (voyez les Mélanges, année 1734) ; il en est question dans les notes à Olympie, et encore tome XI, page 51 ; tome XII, pages 420 et 424 ; tome XVII, pages 74 et 546 ; tome XVIII, page 492. Voyez aussi ci-après les articles Quakers et Tolérance. Voltaire en parle passagèrement dans beaucoup d’autres endroits de ses ouvrages. Enfin c’est sous le nom d’un quaker qu’il a adressé deux lettres à Lefranc de Pompignan (Mélanges, années 1763 et 1764).
  2. Encyclopédie, tome VIII, 1765. (B.)