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HISTOIRE.

à deux mille deux cent trente-quatre ans avant notre ère vulgaire, prouve invinciblement que les Babyloniens existaient en corps de peuple plusieurs siècles auparavant : car les arts ne sont que l’ouvrage du temps, et la paresse naturelle aux hommes les laisse des milliers d’années sans autres connaissances et sans autres talents que ceux de se nourrir, de se défendre des injures de l’air, et de s’égorger. Qu’on en juge par les Germains et par les Anglais du temps de César, par les Tartares d’aujourd’hui, par les deux tiers de l’Afrique, et par tous les peuples que nous avons trouvés dans l’Amérique, en exceptant à quelques égards les royaumes du Pérou et du Mexique, et la république de Tlascala. Qu’on se souvienne que dans tout ce nouveau monde personne ne savait ni lire ni écrire.

Le second monument est l’éclipse centrale du soleil calculée à la Chine deux mille cent cinquante-cinq ans avant notre ère vulgaire, et reconnue véritable par tous nos astronomes. Il faut dire des Chinois la même chose que des peuples de Babylone : ils composaient déjà sans doute un vaste empire policé. Mais ce qui met les Chinois au-dessus de tous les peuples de la terre, c’est que ni leurs lois, ni leurs mœurs, ni la langue que parlent chez eux les lettrés, n’ont changé depuis environ quatre mille ans. Cependant cette nation et celle de l’Inde, les plus anciennes de toutes celles qui subsistent aujourd’hui, celles qui possèdent le plus vaste et le plus beau pays, celles qui ont inventé presque tous les arts avant que nous en eussions appris quelques-uns, ont toujours été omises jusqu’à nos jours dans nos prétendues histoires universelles. Et quand un Espagnol et un Français faisaient le dénombrement des nations, ni l’un ni l’autre ne manquait d’appeler son pays la première monarchie du monde, et son roi le plus grand roi du monde, se flattant que son roi lui donnerait une pension dès qu’il aurait lu son livre.

Le troisième monument, fort inférieur aux deux autres, subsiste dans les marbres d’Arundel : la chronique d’Athènes y est gravée deux cent soixante-trois ans avant notre ère ; mais elle ne remonte que jusqu’à Cécrops, treize cent dix-neuf ans au delà du temps où elle fut gravée. Voilà dans l’histoire de toute l’antiquité les seules époques incontestables que nous ayons.

Faisons une sérieuse attention à ces marbres rapportés de Grèce par le lord Arundel. Leur chronique commence quinze cent quatre-vingt-deux ans avant notre ère. C’est aujourd’hui[1]

  1. En 1771.