Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
350
HISTOIRE.

une antiquité de 3353 ans, et vous n’y voyez pas un seul fait qui tienne du miraculeux, du prodigieux. Il en est de même des olympiades ; ce n’est pas là qu’on doit dire Græcia mendax, la menteuse Grèce[1]. Les Grecs savaient très-bien distinguer l’histoire de la fable, et les faits réels des contes d’Hérodote : ainsi que dans leurs affaires sérieuses, leurs orateurs n’empruntaient rien des discours des sophistes ni des images des poëtes.

La date de la prise de Troie est spécifiée dans ces marbres ; mais il n’y est parlé ni des flèches d’Apollon, ni du sacrifice d’Iphigénie, ni des combats ridicules des dieux. La date des inventions de Triptolème et de Cérès s’y trouve ; mais Cérès n’y est pas appelée déesse. On y fait mention d’un poëme sur l’enlèvement de Proserpine ; il n’y est point dit qu’elle soit fille de Jupiter et d’une déesse, et qu’elle soit femme du dieu des enfers.

Hercule est initié aux mystères d’Éleusine ; mais pas un mot sur ses douze travaux, ni sur son passage en Afrique dans sa tasse, ni sur sa divinité[2], ni sur le gros poisson par lequel il fut avalé, et qui le garda dans son ventre trois jours et trois nuits, selon Lycophron.

Chez nous, au contraire, un étendard est apporté du ciel par un ange aux moines de Saint-Denis ; un pigeon apporte une bouteille d’huile dans une église de Reims ; deux armées de serpents se livrent une bataille rangée en Allemagne ; un archevêque de Mayence est assiégé et mangé par des rats ; et, pour comble, on a grand soin de marquer l’année de ces aventures. Et l’abbé Lenglet compile, compile ces impertinences ; et les almanachs les ont cent fois répétées ; et c’est ainsi qu’on a instruit la jeunesse ; et toutes ces fadaises sont entrées dans l’éducation des princes[3].

Toute histoire est récente. Il n’est pas étonnant qu’on n’ait point d’histoire ancienne profane au delà d’environ quatre mille années. Les révolutions de ce globe, la longue et universelle ignorance de cet art qui transmet les faits par l’écriture, en sont cause. Il reste encore plusieurs peuples qui n’en ont aucun usage. Cet art ne fut commun que chez un très-petit nombre de nations policées ; et même était-il en très-peu de mains. Rien de

  1. Juvénal a dit, satire x, vers 174-75 :

    Quidquid Græcia mendax
    Audet in historia.

  2. Le reste de l’alinéa n’existait pas en 1771; il fut ajouté en 1774. (B.)
  3. Ce paragraphe ne figure pas, on le pense bien, dans l’Encyclopédie, ainsi que les trois alinéas qui le précèdent. (G. A.)