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HISTOIRE.

nations modernes dans les arts, dans l’agriculture, dans le commerce.

Les grandes fautes passées servent beaucoup en tout genre ; on ne saurait trop remettre devant les yeux les crimes et les malheurs. On peut, quoi qu’on en dise, prévenir les uns et les autres ; l’histoire du tyran Christiern peut empêcher une nation de confier le pouvoir absolu à un tyran ; et le désastre de Charles XII devant Pultava avertit un général de ne pas s’enfoncer dans l’Ukraine sans avoir des vivres.

C’est pour avoir lu les détails des batailles de Crécy, de Poitiers, d’Azincourt, de Saint-Quentin, de Gravelines, etc., que le célèbre maréchal de Saxe se déterminait à chercher, autant qu’il pouvait, des affaires de poste.

Les exemples font un grand effet sur l’esprit d’un prince qui lit avec attention. Il verra que Henri IV n’entreprit sa grande guerre, qui devait changer le système de l’Europe, qu’après s’être assuré du nerf de la guerre pour la pouvoir soutenir plusieurs années sans aucun nouveau secours de finances.

Il verra que la reine Élisabeth, par les seules ressources du commerce et d’une sage économie, résista au puissant Philippe II, et que de cent vaisseaux qu’elle mit en mer contre la flotte invincible, les trois quarts étaient fournis par les villes commerçantes d’Angleterre.

La France non entamée sous Louis XIV, après neuf ans de la guerre la plus malheureuse, montrera évidemment l’utilité des places frontières qu’il construisit. En vain l’auteur des causes de la chute de l’empire romain[1] blâme-t-il Justinien d’avoir eu la même politique ; il ne devait blâmer que les empereurs qui négligèrent ces places frontières, et qui ouvrirent les portes de l’empire aux barbares.

Un avantage que l’histoire moderne a sur l’ancienne est d’apprendre à tous les potentats que depuis le xve siècle on s’est toujours réuni contre une puissance trop prépondérante. Ce système d’équilibre a toujours été inconnu des anciens, et c’est la raison des succès du peuple romain, qui, ayant formé une milice supérieure à celle des autres peuples, les subjugua l’un après l’autre, du Tibre jusqu’à l’Euphrate.

[2]Il est nécessaire de remettre souvent sous les yeux les usur-

  1. Montesquieu : Causes de la grandeur et de la décadence des Romains, chapitre xx.
  2. Cet alinéa et les deux suivants n’étaient point dans l’Encyclopédie, en 1765, mais faisaient partie du tome III des Nouveaux Mélanges, publié, comme je l’ai dit, la même année, et faisaient aussi partie du morceau dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1771. (B.)