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HISTOIRE.

Si vous n’avez autre chose à nous dire, sinon qu’un barbare a succédé à un autre barbare sur les bords de l’Oxus et de l’Iaxarte, en quoi êtes-vous utile au public[1] ?

Ces règles sont assez connues ; mais l’art de bien écrire l’histoire sera toujours très-rare. On sait assez qu’il faut un style grave, pur, varié, agréable. Il en est des lois pour écrire l’histoire comme de celles de tous les arts de l’esprit : beaucoup de préceptes, et peu de grands artistes[2].


SECTION V[3].
HISTOIRE DES ROIS JUIFS, ET DES PARALIPOMÈNES.

Tous les peuples ont écrit leur histoire dès qu’ils ont pu écrire. Les Juifs ont aussi écrit la leur. Avant qu’ils eussent des rois, ils vivaient sous une théocratie ; ils étaient censés gouvernés par Dieu même.

Quand les Juifs voulurent avoir un roi comme les autres peuples leurs voisins, le prophète Samuel, très-intéressé à n’avoir point de roi, leur déclara de la part de Dieu que c’était Dieu lui-même qu’ils rejetaient : ainsi la théocratie finit chez les Juifs lorsque la monarchie commença.

On pourrait donc dire sans blasphémer que l’histoire des rois juifs a été écrite comme celle des autres peuples, et que Dieu n’a pas pris la peine de dicter lui-même l’histoire d’un peuple qu’il ne gouvernait plus.

On n’avance cette opinion qu’avec la plus extrême défiance. Ce qui pourrait la confirmer, c’est que les Paralipomènes contredisent très-souvent le livre des Rois dans la chronologie et dans les faits, comme nos historiens profanes se contredisent quelquefois. De plus, si Dieu a toujours écrit l’histoire des Juifs, il faut donc croire qu’il l’écrit encore : car les Juifs sont toujours son peuple chéri. Ils doivent se convertir un jour, et il paraît qu’alors ils seront aussi en droit de regarder l’histoire de leur

  1. Dans l’Encyclopédie, on lisait ici ce qui suit : « La méthode convenable à l’histoire de votre pays, etc. » Voyez l’alinéa précédent qui fut, en 1771, mis à la place qu’il occupe aujourd’hui. (B.)
  2. Ici finissait l’article dans l’Encyclopédie. Mais dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1771, on trouvait encore à la suite le chapitre iii du Pyrrhonisme de l’histoire (voyez les Mélanges, année 1768). (B.)
  3. Cette section formait tout l’article dans le Dictionnaire philosophique, en 1764. (B.)