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HISTOIRE.

Lorsque le jésuite Berruyer, qui, quoique jésuite, était un sot, s’avisa de paraphraser l’Ancien et le Nouveau Testament en style de ruelle, sans autre intention que de les faire lire, il jeta des fleurs de rhétorique sur le couteau à deux tranchants que le Juif Aod enfonça avec le manche dans le ventre du roi Églon, sur le sabre dont Judith coupa la tête d’Holoferne après s’être prostituée à lui, et sur plusieurs autres actions de ce genre. Le parlement, en respectant la Bible qui rapporte ces histoires, condamna le jésuite qui les louait, et fit brûler l’Ancien et le Nouveau Testament, j’entends celui du jésuite.

Mais comme les jugements des hommes sont toujours différents dans les cas pareils, la même chose arriva à Bayle dans un cas tout contraire : il fut condamné pour n’avoir pas loué toutes les actions de David, roi de la province de Judée. Un nommé Jurieu, prédicant réfugié en Hollande, avec d’autres prédicants réfugiés, voulurent l’obliger à se rétracter. Mais comment se rétracter sur des faits consignés dans l’Écriture ? Bayle n’avait-il pas quelque raison de penser que tous les faits rapportés dans les livres juifs ne sont pas des actions saintes ; que David a fait comme un autre des actions très-criminelles, et que s’il est appelé l’homme selon le cœur de Dieu, c’est en vertu de sa pénitence, et non pas à cause de ses forfaits ?

Écartons les noms, et ne songeons qu’aux choses. Supposons que pendant le règne de Henri IV, un curé ligueur a répandu secrètement une bouteille d’huile sur la tête d’un berger de Brie, que ce berger vient à la cour, que le curé le présente à Henri IV comme un bon joueur de violon qui pourra dissiper sa mélancolie, que le roi le fait son écuyer et lui donne une de ses filles en mariage ; qu’ensuite le roi s’étant brouillé avec le berger, celui-ci se réfugie chez un prince d’Allemagne ennemi de son beau-père, qu’il arme six cents brigands perdus de dettes et de débauches, qu’il court la campagne avec cette canaille, qu’il égorge amis et ennemis, qu’il extermine jusqu’aux femmes et aux enfants à la mamelle, afin qu’il n’y ait personne qui puisse porter la nouvelle de cette boucherie : je suppose encore que ce même berger de Brie devient roi de France après la mort de Henri IV, et qu’il fait assassiner son petit-fils après l’avoir fait manger à sa table, et livre à la mort sept autres petits-enfants de son roi ; quel est l’homme qui n’avouera pas que ce berger de Brie est un peu dur ?

Les commentateurs conviennent que l’adultère de David et l’assassinat d’Urie sont des fautes que Dieu a pardonnées. On