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IDÉE.

laquelle il a l’idée de sa nourriture, sans quoi il n’irait pas la chercher.

L’intelligence éternelle a fait dépendre d’un principe toutes les actions de l’animal : donc l’intelligence éternelle a fait dépendre du même principe les sensations qui causent ces actions.

L’auteur de la nature aura-t-il disposé avec un art si divin les instruments merveilleux des sens ; aura-t-il mis des rapports si étonnants entre les yeux et la lumière, entre l’atmosphère et les oreilles, pour qu’il ait encore besoin d’accomplir son ouvrage par un autre secours ? La nature agit toujours par les voies les plus courtes. La longueur du procédé est impuissance ; la multiplicité des secours est faiblesse : donc il est à croire que tout marche par le même ressort.

LE GRAND ÊTRE FAIT TOUT.

Non-seulement nous ne pouvons nous donner aucune sensation, nous ne pouvons même en imaginer au-delà de celles que nous avons éprouvées. Que toutes les académies de l’Europe proposent un prix pour celui qui imaginera un nouveau sens ; jamais on ne gagnera ce prix. Nous ne pouvons donc rien purement par nous-mêmes, soit qu’il y ait un être invisible et intangible dans notre cervelet, ou répandu dans notre corps, soit qu’il n’y en ait pas ; et il faut convenir que, dans tous les systèmes, l’auteur de la nature nous a donné tout ce que nous avons, organes, sensations, idées qui en sont la suite.

Puisque nous naissons ainsi sous sa main, Malebranche, malgré toutes ses erreurs, aurait donc raison de dire philosophiquement que nous sommes dans Dieu, et que nous voyons tout dans Dieu ; comme saint Paul le dit dans le langage de la théologie, et Aratus et Caton dans celui de la morale.

Que pouvons-nous donc entendre par ces mots : voir tout en Dieu ?

Ou ce sont des paroles vides de sens, ou elles signifient que Dieu nous donne toutes nos idées.

Que veut dire recevoir une idée ? Ce n’est pas nous qui la créons quand nous la recevons : donc il n’est pas si antiphilosophique qu’on l’a cru de dire : C’est Dieu qui fait des idées dans ma tête, de même qu’il fait le mouvement dans tout mon corps. Tout est donc une action de Dieu sur les créatures.