Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
435
435
IMAGINATION.
SECTION II[1].

Les bêtes en ont comme vous, témoin votre chien qui chasse dans ses rêves.

« Les choses se peignent en la fantaisie, » dit Descartes, comme les autres. Oui ; mais qu’est-ce que c’est que la fantaisie ? et comment les choses s’y peignent-elles ? est-ce avec de la matière subtile ? Que sais-je ? est la réponse à toutes les questions touchant les premiers ressorts.

Rien ne vient dans l’entendement sans une image. Il faut, pour que vous acquériez cette idée si confuse d’un espace infini, que vous ayez eu l’image d’un espace de quelques pieds. Il faut, pour que vous ayez l’idée de Dieu, que l’image de quelque chose de plus puissant que vous ait longtemps remué votre cerveau.

Vous ne créez aucune idée, aucune image, je vous en défie. L’Arioste n’a fait voyager Astolphe dans la lune que longtemps après avoir entendu parler de la lune, de saint Jean, et des paladins.

On ne fait aucune image, on les assemble, on les combine. Les extravagances des Mille et une Nuits et des Contes des fées, etc, etc, ne sont que des combinaisons.

Celui qui prend le plus d’images dans le magasin de la mémoire est celui qui a le plus d’imagination.

La difficulté n’est pas d’assembler ces images avec prodigalité et sans choix. Vous pourriez passer un jour entier à représenter sans effort et sans presque aucune attention un beau vieillard avec une grande barbe blanche, vêtu d’une ample draperie, porté au milieu d’un nuage sur des enfants joufflus qui ont de belles paires d’ailes, ou sur un aigle d’une grandeur énorme ; tous les dieux et tous les animaux autour de lui ; des trépieds d’or qui courent pour arriver à son conseil ; des roues qui tournent d’elles-mêmes, qui marchent en tournant, qui ont quatre faces, qui sont couvertes d’yeux, d’oreilles, de langues et de nez ; entre ces trépieds et ces roues une foule de morts qui ressuscitent au bruit du tonnerre ; les sphères célestes qui dansent et qui font entendre

  1. Cette seconde section composait tout l’article dans les Questions sur l’Encyclopédie, septième partie; 1771. (B.)