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IMPÔT.

On lui fait entendre raison en le mettant dans un cachot, et en faisant vendre ses meubles. S’il résiste aux exacteurs que le Nouveau Testament a damnés, on le fait pendre, et cela rend tous ses voisins infiniment accommodants.

Si tout cet argent n’était employé par le souverain qu’à faire venir des épiceries de l’Inde, du café de Moka, des chevaux anglais et arabes, des soies du Levant, des colifichets de la Chine, il est clair qu’en peu d’années il ne resterait pas un sou dans le royaume. Il faut donc que l’impôt serve à entretenir les manufactures, et que ce qui a été versé dans les coffres du prince retourne aux cultivateurs. Ils souffrent, ils se plaignent, les autres parties de l’État souffrent et se plaignent aussi ; mais au bout de l’année il se trouve que tout le monde a travaillé et a vécu bien ou mal.

Si par hasard l’homme agreste va dans la capitale, il voit avec des yeux étonnés une belle dame vêtue d’une robe de soie brochée d’or, traînée dans un carrosse magnifique par deux chevaux de prix, suivie de quatre laquais habillés d’un drap à vingt francs l’aune ; il s’adresse à un laquais de cette belle dame, et lui dit : « Monseigneur, où cette dame prend-elle tant d’argent pour faire une si grande dépense ? — Mon ami, lui dit le laquais, le roi lui fait une pension de quarante mille livres. — Hélas ! dit le rustre, c’est mon village qui paye cette pension. — Oui, répond le laquais ; mais la soie que tu as recueillie, et que tu as vendue, a servi à l’étoffe dont elle est habillée ; mon drap est en partie de la laine de tes moutons ; mon boulanger a fait mon pain de ton blé ; tu as vendu au marché les poulardes que nous mangeons : ainsi la pension de madame est revenue à toi et à tes camarades. »

Le paysan ne convient pas tout à fait des axiomes de ce laquais philosophe : cependant une preuve qu’il y a quelque chose de vrai dans sa réponse, c’est que le village subsiste, et qu’on y fait des enfants, qui tout en se plaignant feront aussi des enfants qui se plaindront encore.


SECTION II[1].


Si on était obligé d’avoir tous les édits des impôts, et tous les livres faits contre eux, ce serait l’impôt le plus rude de tous. On sait bien que les taxes sont nécessaires, et que la malé-

  1. Voyez la note, page 439.