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INQUISITION.

de l’Inquisition, Sa Sainteté ne pouvait souffrir les délais, et que le roi était assez honoré que le premier courrier qui lui en apportait la nouvelle fût un légat du saint-père. Le roi n’osa répliquer. Le légat, dès le jour même, établit un grand-inquisiteur, envoya partout recueillir des décimes ; et avant que la cour pût avoir des réponses de Rome, il avait déjà fait brûler deux cents personnes, et recueilli plus de deux cent mille écus.

Cependant le marquis de Villanova, seigneur espagnol de qui le légat avait emprunté à Séville une somme très-considérable sur de faux billets, jugea à propos de se payer par ses mains, au lieu d’aller se compromettre avec le fourbe à Lisbonne. Le légat faisait alors sa tournée sur les frontières de l’Espagne. Il y marche avec cinquante hommes armés, l’enlève, et le conduit à Madrid.

La friponnerie fut bientôt découverte à Lisbonne, le conseil de Madrid condamna le légat Saavedra au fouet et à dix ans de galères ; mais ce qu’il y eut d’admirable, c’est que le pape Paul IV confirma depuis tout ce qu’avait établi ce fripon ; il rectifia par la plénitude de sa puissance divine toutes les petites irrégularités des procédures, et rendit sacré ce qui avait été purement humain.

Qu’importe de quel bras Dieu daigne se servir ?

(Zaïre, II, i.)

Voilà comme l’Inquisition devint sédentaire à Lisbonne, et tout le royaume admira la Providence.

Au reste, on connaît assez toutes les procédures de ce tribunal ; on sait combien elles sont opposées à la fausse équité et à l’aveugle raison de tous les autres tribunaux de l’univers. On est emprisonné sur la simple dénonciation des personnes les plus infâmes ; un fils peut dénoncer son père, une femme son mari ; on n’est jamais confronté devant ses accusateurs ; les biens sont confisqués au profit des juges : c’est ainsi du moins que l’Inquisition s’est conduite jusqu’à nos jours ; il y a là quelque chose de divin, car il est incompréhensible que les hommes aient souffert ce joug patiemment[1].

Enfin le comte d’Aranda a été béni de l’Europe entière en rognant les griffes et en limant les dents du monstre ; mais il respire encore[2].

  1. C’est ici que finit ce qui, en 1770, 1774, 1775, se lisait à l’article Aranda. (B.)
  2. Voyez l’article Aranda. Ce ministre de Charles III n’eut pas le temps de détruire l’Inquisition : il fut disgracié. Rappelé au ministère en 1792, sa faveur fut de courte durée. Il fut exilé dans ses terres, où il mourut en 1794. Il était né en 1719. (B.)