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INTÉRÊT.

l’épée, la pique, et enfin le fusil, avec lesquels nous tuons notre prochain.

L’instinct seul nous porte tous également à faire l’amour, amor omnibus idem[1] ; mais Virgile, Tibulle, et Ovide, le chantent.

C’est par le seul instinct qu’un jeune manœuvre s’arrête avec admiration et respect devant le carrosse surdoré d’un receveur des finances. La raison vient au manœuvre ; il devient commis, il se polit, il vole, il devient grand seigneur à son tour ; il éclabousse ses anciens camarades, mollement étendu dans un char plus doré que celui qu’il admirait.

Qu’est-ce que cet instinct qui gouverne tout le règne animal, et qui est chez nous fortifié par la raison, ou réprimé par l’habitude ? Est-ce divinæ particula auræ[2]. Oui, sans doute, c’est quelque chose de divin : car tout l’est. Tout est l’effet incompréhensible d’une cause incompréhensible. Tout est déterminé par la nature. Nous raisonnons de tout, et nous ne nous donnons rien.


INTÉRÊT[3].


Nous n’apprendrons rien aux hommes nos confrères, quand nous leur dirons qu’ils font tout par intérêt. Quoi ! c’est par intérêt que ce malheureux fakir se tient tout nu au soleil, chargé de fers, mourant de faim, mangé de vermine et la mangeant ? Oui, sans doute, nous l’avons dit ailleurs[4] ; il compte aller au dix-huitième ciel, et il regarde en pitié celui qui ne sera reçu que dans le neuvième.

L’intérêt de la Malabare qui se brûle sur le corps de son mari est de le retrouver dans l’autre monde, et d’y être plus heureuse que ce fakir. Car, avec leur métempsycose, les Indiens ont un autre monde ; ils sont comme nous, ils admettent les contradictoires.

Avez-vous connaissance de quelque roi ou de quelque république qui ait fait la guerre ou la paix, ou des édits, ou des conventions, par un autre motif que celui de l’intérêt ?

À l’égard de l’intérêt de l’argent, consultez dans le grand Dictionnaire encyclopédique cet article de M. d’Alembert pour le

  1. Géorg., III, 244.
  2. Horace, II, sat. ii, vers 79.
  3. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  4. Ce n’est pas du 9e et du 18e, mais du 19e et du 35e ciel qu’il est question dans le conte ou roman intitulé Bababec et les Fakirs. Voyez dans les Romans.