Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/539

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
529
JUIFS.

un terrain pierreux, près d’un petit torrent qui est à sec six mois de l’année.

Lorsque vous commençâtes à vous affermir dans ce coin (je ne dirai pas de terre, mais de cailloux), il y avait environ deux siècles que Troie était détruite par les Grecs :

Médon était archonte d’Athènes ;

Ékestrates régnait dans Lacédémone ;

Latinus Silvius régnait dans le Latium ;

Osochor, en Égypte.

Les Indes étaient florissantes depuis une longue suite de siècles.

C’était le temps le plus illustre de la Chine ; l’empereur Tchinvang régnait avec gloire sur ce vaste empire ; toutes les sciences y étaient cultivées, et les annales publiques portent que le roi de la Cochinchine étant venu saluer cet empereur Tchinvang, il en reçut en présent une boussole. Cette boussole aurait bien servi à votre Salomon pour les flottes qu’il envoyait au beau pays d’Ophir, que personne n’a jamais connu.

Ainsi après les Chaldéens, les Syriens, les Perses, les Phéniciens, les Égyptiens, les Grecs, les Indiens, les Chinois, les Latins, les Toscans, vous êtes le premier peuple de la terre qui ait eu quelque forme de gouvernement connu.

Les Banians, les Guèbres, sont avec vous les seuls peuples qui, dispersés hors de leur patrie, ont conservé leurs anciens rites : car je ne compte pas les petites troupes égyptiennes qu’on appelait Zingari en Italie, Gipsies en Angleterre, Bohèmes en France, lesquelles avaient conservé les antiques cérémonies du culte d’Isis, le cistre, les cymbales, les crotales, la danse d’Isis, la prophétie, et l’art de voler les poules dans les basses-cours. Ces troupes sacrées commencent à disparaître de la face de la terre, tandis que leurs pyramides appartiennent encore aux Turcs, qui n’en seront pas peut-être toujours les maîtres[1] non plus que d’Hershalaïm : tant la figure de ce monde passe !

Vous dites que vous êtes établis en Espagne dès le temps de Salomon. Je le crois ; et même j’oserais penser que les Phéniciens purent y conduire quelques Juifs longtemps auparavant, lorsque vous fûtes esclaves en Phénicie après les horribles massacres que vous dites avoir été commis par Cartouche Josué et par Cartouche Caleb.

Vos livres disent en effet[2] que vous fûtes réduits en servitude

  1. Allusion aux conquêtes récentes de Catherine II.
  2. Juges, chapitre iii. (Note de Voltaire.)