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JULIEN.
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des peines rigoureuses ; ils ne se disaient point le premier ordre de l’État, ne formaient point un État dans l’État, et ne se mêlaient point du gouvernement. Voilà bien des motifs pour engager un homme du caractère de Julien à se déclarer pour eux. Il avait besoin d’un parti ; et s’il ne se fût piqué que d’être stoïcien, il aurait eu contre lui les prêtres des deux religions, et tous les fanatiques de l’une et de l’autre. Le peuple n’aurait pu alors supporter qu’un prince se contentât de l’adoration pure d’un être pur, et de l’observation de la justice. Il fallut opter entre deux partis qui se combattaient. Il est donc à croire que Julien se soumit aux cérémonies païennes, comme la plupart des princes et des grands vont dans les temples : ils y sont menés par le peuple même, et sont forcés de paraître souvent ce qu’ils ne sont pas ; d’être en public les premiers esclaves de la crédulité. Le sultan des Turcs doit bénir Omar, le sophi de Perse doit bénir Ali ; Marc-Aurèle lui-même s’était fait initier aux mystères d’Éleusis.

Il ne faut donc pas être surpris que Julien ait avili sa raison jusqu’à descendre à des pratiques superstitieuses ; mais on ne peut concevoir que de l’indignation contre Théodoret, qui seul de tous les historiens rapporte qu’il sacrifia une femme dans le temple de la Lune à Carrès. Ce conte infâme doit être mis avec ce conte absurde d’Ammien, que le génie de l’empire apparut à Julien avant sa mort ; et avec cet autre conte non moins ridicule, que, quand Julien voulut faire rebâtir le temple de Jérusalem, il sortit de terre des globes de feu qui consumèrent tous les ouvrages et les ouvriers.

Iliacos intra muros peccatur et extra.

(Hor., liv. I, ép. ii, 16.)

Les chrétiens et les païens débitaient également des fables sur Julien ; mais les fables des chrétiens, ses ennemis, étaient toutes calomnieuses. Qui pourra jamais se persuader qu’un philosophe ait immolé une femme à la Lune, et déchiré de ses mains ses entrailles ? Une telle horreur est-elle dans le caractère d’un stoïcien rigide ?

Il ne fit jamais mourir aucun chrétien : il ne leur accordait point de faveurs ; mais il ne les persécutait pas. Il les laissait jouir de leurs biens comme empereur juste, et écrivait contre eux comme philosophe. Il leur défendait d’enseigner dans les écoles les auteurs profanes, qu’eux-mêmes voulaient décrier : ce n’était pas être persécuteur. Il leur permettait l’exercice de leur religion, et les empêchait de se déchirer par leurs querelles sanglantes :