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JULIEN.

compilent, compilent du fatras théologique, dans l’espérance que leurs opuscules feront fortune dans les séminaires[1].

On demande très-sincèrement pardon aux lecteurs sensés d’avoir parlé d’un ex-jésuite nommé Paulian, et d’un ex-jésuite nommé Nonotte, et d’un ex-jésuite nommé Patouillet ; mais, après avoir écrasé des serpents, n’est-il pas permis aussi d’écraser des puces[2] ?

  1. Voyez l’article Philosophie.
  2. M. de Voltaire a osé le premier rendre une justice entière à ce prince, l’un des hommes les plus extraordinaires qui aient jamais occupé le trône. Chargé, très-jeune, et au sortir de l’école des philosophes, du gouvernement des Gaules, il les défendit avec un égal courage contre les Germains et contre les exacteurs qui les ravageaient au nom de Constance. Sa vie privée était celle d’un sage ; général habile et actif pendant la campagne, il devenait l’hiver un magistrat appliqué, juste et humain. Constance voulut le rappeler ; l’armée se souleva, et le força d’accepter le titre d’Auguste. Les détails de cet événement, transmis par l’histoire, nous y montrent Julien aussi irréprochable que dans le reste de sa vie. Il fallait qu’il choisit entre la mort et une guerre contre un tyran souillé de sang et de rapines, avili par la superstition et la mollesse, et qui avait résolu sa perte. Son droit était le même que celui de Constantin, qui n’avait pas, à beaucoup près, des excuses aussi légitimes.

    Tandis que son armée, conduite par ses généraux, marche en Grèce, en traversant les Alpes et le nord de l’Italie, Julien, à la tête d’un corps de cavalerie d’élite, passe le Rhin, traverse la Germanie et la Pannonie, partie sur les terres de l’empire, partie sur celles des barbares ; et on le voit descendre des montagnes de Macédoine lorsqu’on le croyait encore dans les Gaules. Cette marche, unique dans l’histoire, est à peine connue : car la haine des prêtres a envié à Julien jusqu’à sa gloire militaire.

    En seize mois de règne, il assura toutes les frontières de l’empire, fit respecter partout sa justice et sa clémence, étouffa les querelles des chrétiens, qui commençaient à troubler l’empire, et ne répondit à leurs injures, ne combattit leurs intrigues et leurs complots, que par des raisonnements et des plaisanteries. Il fit enfin contre les Parthes cette guerre dont l’unique objet était d’assurer aux provinces de l’Orient une barrière qui les mit à l’abri de toute incursion. Jamais un règne si court n’a mérité autant de gloire. Sous ses prédécesseurs, comme sous les princes qui lui ont succédé, c’était un crime capital de porter des vêtements de pourpre. Un de ses courtisans lui dénonça un jour un citoyen qui, soit par orgueil, soit par folie, s’était paré de ce dangereux ornement ; il ne lui manquait, disait-on, que des souliers de pourpre. « Portez-lui-en une paire de ma part, dit Julien, afin que l’habillement soit complet. »

    La Satire des Césars est un ouvrage rempli de finesse et de philosophie ; le jugement sévère, mais juste et motivé, porté sur ces princes par un de leurs successeurs, est un monument unique dans l’histoire. Dans ses Lettres à des philosophes, dans son Discours aux Athéniens, il se montra supérieur en esprit et en talents à Marc-Antonin, son modèle, le seul empereur qui, comme lui, ait laissé des ouvrages. Pour bien juger les écrits philosophiques de Julien et son livre contre les chrétiens, il faut le comparer, non aux ouvrages des philosophes modernes, mais à ceux des philosophes grecs, des savants de son siècle, des Pères de l’Église : alors on trouvera peu d’hommes qu’on puisse comparer à ce prince mort à trente-deux ans, après avoir gagné des batailles sur le Rhin et sur l’Euphrate.

    Il mourut au sein de la victoire, comme Épaminondas, et conversant paisiblement avec les philosophes qui l’avaient suivi à l’armée. Des fanatiques avaient prédit sa mort ; et les Perses, loin de s’en vanter, en accusèrent la trahison des Romains. On fut obligé d’employer des précautions extraordinaires pour empêcher les chrétiens de déchirer son corps et de profaner son tombeau. Jovien, son successeur, était chrétien. Il fit un traité honteux avec les Perses, et mourut au bout de quelques mois, d’excès de débauche et d’intempérance.

    Ceux qui reprochent à Julien de n’avoir pas assuré à l’empire un successeur digne de le remplacer oublient la brièveté de son règne, la nécessité de commencer par rétablir la paix, et la difficulté de pourvoir au gouvernement d’un empire immense dont la constitution exigeait un seul maître, ne pouvait souffrir un monarque faible, et n’offrait aucun moyen pour une élection paisible. (K.)

    — Depuis ce jugement confirmatif de celui de Voltaire, la figure de Julien a bien changé. Aux yeux de la critique moderne, ce n’est pas, il est vrai, le féroce persécuteur créé par les légendes catholiques, mais ce n’est pas non plus le prince sceptique que nous présentaient les rationalistes. Il se trouve que ce terrible ennemi des chrétiens est un des esprits les plus chrétiens qui fut jamais, et que, séparé d’eux par des questions de mots, il leur était intimement lié par la théologie, la morale, les aspirations mystiques, etc. (G. A.)