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LOI SALIQUE.

loi des Saliens l’eût été. Cette loi est en latin ; et il n’y a pas d’apparence que ni Clovis ni ses prédécesseurs parlassent latin dans leurs marais entre les Souabes et les Bataves.

On suppose que cette loi peut regarder les rois de France ; et tous les savants conviennent que les Sicambres, les Francs, les Saliens, n’avaient point de rois, ni même aucun chef héréditaire.

Le titre de la loi salique commence par ces mots : In Christi nomine. Elle a donc été faite hors des terres saliques, puisque le Christ n’était pas plus connu de ces barbares que du reste de la Germanie et de tous les pays du Nord.

On fait rédiger cette loi salique par quatre grands jurisconsultes francs ; ils s’appellent dans l’édition de Hérold : Visogast, Arogast, Salegast et Vindogast. Dans l’édition de Pithou, ces noms sont un peu différents[1]. Il se trouve malheureusement que ces noms sont les vieux noms déguisés de quelques cantons d’Allemagne.

Notre magot prend pour ce coup
Le nom d’un port pour un nom d’homme.

(La Fontaine, livre IV, fable vii).

En quelque temps que cette loi ait été rédigée en mauvais latin, on trouve, dans l’article touchant les aïeux, que « nulle portion de terre salique ne passe à la femme ». Il est clair que cette prétendue loi ne fut point suivie.

Premièrement, on voit par les formules de Marculphe qu’un père pouvait laisser ses aïeux à sa fille, en renonçant à certaine loi salique, impie et abominable.

Secondement, si on applique cette loi aux fiefs, il est clair que les rois d’Angleterre qui n’étaient pas de la race normande n’avaient eu tous leurs grands fiefs en France que par les filles.

Troisièmement, si on prétend qu’il est nécessaire qu’un fief soit entre les mains d’un homme, parce qu’il doit se battre pour son seigneur, cela prouve que la loi ne pouvait être entendue des droits au trône. Tous les seigneurs de fief se seraient battus tout aussi bien pour une reine que pour un roi. Une reine n’était point obligée d’endosser une cuirasse, de se garnir de cuissards et de brassards, et d’aller au trot à l’ennemi sur un grand cheval de charrette, comme ce fut longtemps la mode.

Il est donc clair qu’originairement la loi salique ne pouvait

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1777, le paragraphe du Commentaire sur l’Esprit des lois, intitulé de la Loi salique.