Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
FABLE.

Cette Vénus est la déesse de la beauté ; la beauté cesse d’être aimable si elle marche sans les grâces ; la beauté fait naître l’amour ; l’amour a des traits qui percent les cœurs ; il porte un bandeau qui cache les défauts de ce qu’on aime ; il a des ailes, il vient vite et fuit de même.

La sagesse est conçue dans le cerveau du maître des dieux sous le nom de Minerve ; l’âme de l’homme est un feu divin que Minerve montre à Prométhée, qui se sert de ce feu divin pour animer l’homme.

Il est impossible de ne pas reconnaître dans ces fables une peinture vivante de la nature entière. La plupart des autres fables sont, ou la corruption des histoires anciennes, ou le caprice de l’imagination. Il en est des anciennes fables comme de nos contes modernes : il y en a de moraux, qui sont charmants ; il en est qui sont insipides[1].

Les fables des anciens peuples ingénieux ont été grossièrement imitées par des peuples grossiers : témoin celles de Bacchus, d’Hercule, de Prométhée, de Pandore, et tant d’autres ; elles étaient l’amusement de l’ancien monde. Les barbares qui en entendirent parler confusément les firent entrer dans leur mythologie sauvage ; et ensuite ils osèrent dire : C’est nous qui les avons inventées. Hélas ! pauvres peuples ignorés et ignorants, qui n’avez connu aucun art ni agréable ni utile, chez qui même le nom de géométrie ne parvint jamais, pouvez-vous dire que vous avez inventé quelque chose ? Vous n’avez su ni trouver des vérités, ni mentir habilement.

[2] La plus belle fable des Grecs est celle de Psyché. La plus plaisante fut celle de la matrone d’Éphèse.

La plus jolie parmi les modernes fut celle de la Folie, qui, ayant crevé les yeux à l’Amour, est condamnée à lui servir de guide[3].

Les fables attribuées à Ésope sont toutes des emblèmes, des instructions aux faibles, pour se garantir des forts autant qu’ils le peuvent. Toutes les nations un peu savantes les ont adoptées, La Fontaine est celui qui les a traitées avec le plus d’agrément : il y en a environ quatre-vingts qui sont des chefs-d’œuvre de naïveté, de grâce, de finesse, quelquefois même de poésie ; c’est encore un

  1. Fin de l’article en 1764. L’alinéa qui suit fut ajouté en 1767. (B.)
  2. Ce qui suit, jusqu’à la page 65, fut ajouté par Voltaire en 1771, lorsqu’il reproduisit cet article dans la sixième partie des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  3. Débat de Folie et d’Amour, par Louise Labé. Voyez les diverses éditions des œuvres de cette illustre Lyonnaise. La Fontaine en a fait sa fable xiv du livre XII.