Je n’étais point son fils ! Et qui suis-je, grands dieux[1] ?
Le ciel, qui dans mes mains a remis votre enfance,
D’une profonde nuit couvre votre naissance ;
Et je sais seulement qu’en naissant condamné,
Et sur un mont désert à périr destiné,
La lumière sans moi vous eût été ravie.
Ainsi donc mon malheur commence avec ma vie ;
J’étais dès le berceau l’horreur de ma maison.
Où tombai-je en vos mains ?
Sur le mont Cithéron.
Près de Thèbes ?
Exposa votre enfance en ce lieu solitaire.
Quelque dieu bienfaisant guida vers vous mes pas :
La pitié me saisit, je vous pris dans mes bras ;
Je ranimai dans vous la chaleur presque éteinte.
Vous viviez ; aussitôt je vous porte à Corinthe ;
Je vous présente au prince : admirez votre sort !
Le prince vous adopte au lieu de son fils mort ;
Et par ce coup adroit, sa politique heureuse
Affermit pour jamais sa puissance douteuse.
Sous le nom de son fils vous fûtes élevé
Par cette même main qui vous avait sauvé.
Mais le trône en effet n’était point votre place ;
L’intérêt vous y mit, le remords vous en chasse.
Ô vous qui présidez aux fortunes des rois,
Dieux ! Faut-il en un jour m’accabler tant de fois,
Et, préparant vos coups par vos trompeurs oracles,
Contre un faible mortel épuiser les miracles ?
Mais ce vieillard, ami, de qui tu m’as reçu,
Depuis ce temps fatal ne l’as-tu jamais vu ?