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ÉPÎTRE DÉDICATOIRE
À M. FALKENER, MARCHAND ANGLAIS[1].
(1733)


Vous êtes Anglais, mon cher ami, et je suis né en France : mais ceux qui aiment les arts sont tous concitoyens. Les honnêtes gens qui pensent ont à peu près les mêmes principes, et ne composent qu’une république : ainsi il n’est pas plus étrange de voir aujourd’hui une tragédie française dédiée à un Anglais, ou à un Italien, que si un citoyen d’Éphèse ou d’Athènes avait autrefois adressé son ouvrage à un Grec d’une autre ville. Je vous offre donc cette tragédie comme à mon compatriote dans la littérature, et comme à mon ami intime.

Je jouis en même temps du plaisir de pouvoir dire à ma nation de quel œil les négociants sont regardés chez vous ; quelle estime on sait avoir en Angleterre pour une profession qui fait la grandeur de l’État, et avec quelle supériorité quelques-uns d’entre vous représentent leur patrie dans le parlement, et sont au rang des législateurs.

Je sais bien que cette profession est méprisée de nos petits-maîtres ; mais vous savez aussi que nos petits-maîtres et les vôtres

  1. L’intitulé que je donne à cette Épître est celui qu’elle a dans les premières éditions. On voit, par les lettres de Voltaire à Cideville et à Formont, de la fin de 1732 et du commencement de 1733, ainsi que par celle à Thiériot du 24 février 1733, que l’on n’accorda la permission d’imprimer cette dédicace qu’avec des suppressions. Une copie de la pièce entière ayant été communiquée à M. Lequien, en 1820, les morceaux supprimés en 1733 furent par lui donnés en variantes, et c’est sous cette forme qu’on les trouvera ici. (B.)

    C’était la première fois qu’on adressait une dédicace à un marchand. Cela parut d’une hardiesse inconcevable. Falkener, dont Voltaire exilé avait été l’hôte, et auquel il témoignait par cette dédicace toute sa gratitude, fut bafoué par les parodistes. On le représentait sous le nom de Kafener, habillé grossièrement, une pipe à la bouche, et parlant pesamment. (G. A.)