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ZAÏRE.


Une fille, trois fils, ma superbe espérance,
Me furent arrachés dès leur plus tendre enfance ;
Ô mon cher Chatillon, tu dois t’en souvenir !

Chatillon.

De vos malheurs encor vous me voyez frémir.

Lusignan.

Prisonnier avec moi dans Césarée en flamme,
Tes yeux virent périr mes deux fils et ma femme.

Chatillon.

Mon bras chargé de fers ne les put secourir.

Lusignan.

Hélas ! et j’étais père, et je ne pus mourir !
Veillez du haut des cieux, chers enfants que j’implore,
Sur mes autres enfants, s’ils sont vivants encore.
Mon dernier fils, ma fille, aux chaînes réservés,
Par de barbares mains pour servir conservés,
Loin d’un père accablé, furent portés ensemble
Dans ce même sérail où le ciel nous rassemble.

Chatillon.

Il est vrai, dans l’horreur de ce péril nouveau.
Je tenais votre fille à peine en son berceau ;
Ne pouvant la sauver, seigneur, j’allais moi-même
Répandre sur son front l’eau sainte du baptême,
Lorsque les Sarrasins, de carnage fumants,
Revinrent l’arracher à mes bras tout sanglants.
Votre plus jeune fils, à qui les destinées
Avaient à peine encore accordé quatre années,
Trop capable déjà de sentir son malheur.
Fut dans Jérusalem conduit avec sa sœur.

Nérestan.

De quel ressouvenir mon âme est déchirée !
À cet âge fatal j’étais dans Césarée ;
Et tout couvert de sang, et chargé de liens,
Je suivis en ces lieux la foule des chrétiens.

Lusignan.

Vous… seigneur !… Ce sérail éleva votre enfance ?…
            (En les regardant.)
Hélas ! de mes enfants auriez-vous connaissance ?
Ils seraient de votre âge, et peut-être mes yeux…
Quel ornement, madame, étranger en ces lieux ?
Depuis quand l’avez-vous ?