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MIRACLES.

Vagenseil disait avec impiété que c’était entendre une chanson de village au sortir d’un grand concert.

Le Talmud prétend qu’il y a eu beaucoup de chrétiens qui, comparant les miracles de l’Ancien Testament à ceux du Nouveau, ont embrassé le judaïsme : ils croyaient qu’il n’est pas possible que le Maître de la nature eût fait tant de prodiges pour une religion qu’il voulait anéantir. Quoi ! disaient-ils, il y aura eu pendant des siècles une suite de miracles épouvantables en faveur d’une religion véritable qui deviendra fausse ! Quoi ! Dieu même aura écrit que cette religion ne périra jamais, et qu’il faut lapider ceux qui voudront la détruire ! et cependant il enverra son propre fils, qui est lui-même, pour anéantir ce qu’il a édifié pendant tant de siècles !

Il y a bien plus : ce fils, continuent-ils, ce Dieu éternel, s’étant fait Juif, est attaché à la religion juive pendant toute sa vie ; il en fait toutes les fonctions, il fréquente le temple juif, il n’annonce rien de contraire à la loi juive, tous ses disciples sont Juifs, tous observent les cérémonies juives. Ce n’est certainement pas lui, disent-ils, qui a établi la religion chrétienne ; ce sont des Juifs dissidents qui se sont joints à des platoniciens. Il n’y a pas un dogme du christianisme qui ait été prêché par Jésus-Christ.

C’est ainsi que raisonnent ces hommes téméraires qui, ayant à la fois l’esprit faux et audacieux, osent juger les œuvres de Dieu, et n’admettent les miracles de l’Ancien Testament que pour rejeter tous ceux du Nouveau.

De ce nombre fut malheureusement cet infortuné prêtre de Pont-à-Mousson en Lorraine, nommé Nicolas Antoine[1] ; on ne lui connaît point d’autre nom. Ayant reçu ce qu’on appelle les quatre mineurs en Lorraine, le prédicant Ferry, en passant à Pont-à-Mousson, lui donna de grands scrupules, et lui persuada que les quatre mineurs étaient le signe de la bête. Antoine, désespéré de porter le signe de la bête, le fit effacer par Ferry, embrassa la religion protestante, et fut ministre à Genève vers l’an 1630.

Plein de la lecture des rabbins, il crut que si les protestants avaient raison contre les papistes, les juifs avaient bien plus raison contre toutes les sectes chrétiennes. Du village de Divonne, où il était pasteur, il alla se faire recevoir juif à Venise, avec un petit apprenti en théologie qu’il avait persuadé, et qui après l’abandonna, n’ayant point de vocation pour le martyre.

D’abord le ministre Nicolas Antoine s’abstint de prononcer le

  1. Voyez l’article Contradictions, section ii.