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MIRACLES.

nom de Jésus-Christ dans ses sermons et dans ses prières ; mais bientôt, échauffé et enhardi par l’exemple des saints juifs qui professaient hardiment le judaïsme devant les princes de Tyr et de Babylone, il s’en alla pieds nus à Genève confesser, devant les juges et devant les commis des halles, qu’il n’y a qu’une seule religion sur la terre, parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu ; que cette religion est la juive, qu’il faut absolument se faire circoncire ; que c’est un crime horrible de manger du lard et du boudin. Il exhorta pathétiquement tous les Genevois qui s’attroupèrent à cesser d’être enfants de Bélial, à être bons juifs, afin de mériter le royaume des cieux. On le prit, on le lia.

Le petit conseil de Genève, qui ne faisait rien alors sans consulter le conseil des prédicants, leur demanda leur avis. Les plus sensés de ces prêtres opinèrent à faire saigner Nicolas Antoine à la veine céphalique, à le baigner et à le nourrir de bons potages, après quoi on l’accoutumerait insensiblement à prononcer le nom de Jésus-Christ, ou du moins à l’entendre prononcer sans grincer des dénis comme il lui arrivait toujours. Ils ajoutèrent que les lois souffraient les juifs, qu’il y en avait huit mille à Rome, que beaucoup de marchands sont de vrais juifs ; et que, puisque Rome admettait huit mille enfants de la synagogue, Genève pouvait bien en tolérer un. À ce mot de tolérance les autres pasteurs en plus grand nombre, grinçant des dents beaucoup plus qu’Antoine au nom de Jésus-Christ, et charmés d’ailleurs de trouver une occasion de pouvoir faire brûler un homme, ce qui arrivait très-rarement, furent absolument pour la brûlure. Ils décidèrent que rien ne servirait mieux à raffermir le véritable christianisme ; que les Espagnols n’avaient acquis tant de réputation dans le monde que parce qu’ils faisaient brûler des juifs tous les ans ; et qu’après tout, si l’Ancien Testament devait remporter sur le Nouveau, Dieu ne manquerait pas de venir éteindre lui-même la flamme du bûcher, comme il fit dans Babylone pour Sidrac, Misac et Abdenago ; qu’alors on reviendrait à l’Ancien Testament, mais qu’en attendant il fallait absolument brûler Nicolas Antoine. Partant, ils conclurent à ôter le méchant : ce sont leurs propres paroles.

Le syndic Sarrasin et le syndic Godefroi, qui étaient de bonnes têtes, trouvèrent le raisonnement du sanhédrin genevois admirable : et, comme les plus forts, ils condamnèrent Nicolas Antoine, le plus faible, à mourir de la mort de Calanus et du conseiller Dubourg. Cela fut exécuté le 20 avril 1632 dans une très-belle place champêtre appelée Plain-palais, en présence de vingt mille