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MOÏSE.

Dans ce silence général du monde entier, voici comme les incrédules raisonnent avec une témérité qui se réfute d’elle-même.

Les Juifs sont les seuls qui aient eu le Pentateuque, qu’ils attribuent à Moïse. Il est dit dans leurs livres mêmes que ce Pentateuque ne fut connu que sous leur roi Josias, trente-six ans avant la première destruction de Jérusalem et de la captivité ; on n’en trouva qu’un seul exemplaire chez le pontife Helcias[1], qui le déterra au fond d’un coffre-fort en comptant de l’argent. Le pontife l’envoya au roi par son scribe Saphan.

Cela pourrait, disent-ils, obscurcir l’authenticité du Pentateuque.

En effet, eût-il été possible que si le Pentateuque eût été connu de tous les Juifs, Salomon, le sage Salomon, inspiré de Dieu même, en lui bâtissant un temple par son ordre, eût orné ce temple de tant de figures, contre la loi expresse de Moïse ?

Tous les prophètes juifs qui avaient prophétisé au nom du Seigneur depuis Moïse jusqu’à ce roi Josias ne se seraient-ils pas appuyés dans leurs prédications de toutes les lois de Moïse ? N’auraient-ils pas cité mille lois ses propres paroles ? Ne les auraient-ils pas commentées ? Aucun d’eux cependant n’en cite deux lignes ; aucun ne rappelle le texte de Moïse; ils lui sont même contraires en plusieurs endroits.

Selon ces incrédules, les livres attribués à Moïse n’ont été écrits que parmi les Babyloniens pendant la captivité, ou immédiatement après, par Esdras. On ne voit, en effet, que des terminaisons persanes et chaldéennes dans les écrits juifs : Babel, porte de dieu ; Phégor-beel ou Beel-Phégor, dieu du précipice ; Zebuth-beel ou Beel-zebuth, dieu des insectes ; Bethel, maison de dieu ; Daniel, jugement de dieu ; Gabriel, homme de dieu ; Jahel, affligé de dieu ; Jaïel, la vie de dieu ; Israël, voyant dieu ; Oziel, force de dieu ; Raphaël, secours de dieu ; Uriel, le feu de dieu.

Ainsi tout est étranger chez la nation juive, étrangère elle-même en Palestine : circoncision, cérémonies, sacrifices, arche, chérubin, bouc Hazazel, baptême de justice, baptême simple, épreuves, divination, explication des songes, enchantement des serpents, rien ne venait de ce peuple ; rien ne fut inventé par lui.

Le célèbre milord Bolingbroke ne croit point du tout que Moïse ait existé : il croit voir dans le Pentateuque une foule de contradictions et de fautes de chronologie et de géographie qui

  1. IV, Rois, chapitre xxiii, et Paralipom, II, chapitre xxxiv. (Note de Voltaire.)