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MOÏSE.

que lorsqu’elle eut quelque commerce avec les Phéniciens. C’est probablement dans les commencements de la monarchie que les Juifs qui se sentirent quelque génie mirent par écrit le Pentateuque, et ajustèrent comme ils purent leurs traditions. Aurait-on fait recommander par Moïse aux rois de lire et d’écrire même sa loi, dans le temps qu’il n’y avait pas encore de rois ? N’est-il pas probable que le dix-septième chapitre du Deutéronome est fait pour modérer le pouvoir de la royauté, et qu’il fut écrit par les prêtres du temps de Saül ?

C’est vraisemblablement à cette époque qu’il faut placer la rédaction du Pentateuque. Les fréquents esclavages que ce peuple avait subis ne semblent pas propres à établir la littérature dans une nation, et à rendre les livres fort communs ; et plus ces livres furent rares dans les commencements, plus les auteurs s’enhardirent à les remplir de prodiges.

Le Pentateuque attribué à Moïse est très-ancien, sans doute, s’il est rédigé du temps de Saül et de Samuel : c’est environ vers le temps de la guerre de Troie, et c’est un des plus curieux monuments de la manière de penser des hommes de ce temps-là. On voit que toutes les nations connues étaient amoureuses des prodiges à proportion de leur ignorance. Tout se faisait alors par le ministère céleste, en Égypte, en Phrygie, en Grèce, en Asie.

Les auteurs du Pentateuque donnent à entendre que chaque nation a ses dieux, et que ces dieux ont, à peu de chose près, un égal pouvoir.

Si Moïse change au nom de son Dieu sa verge en serpent, les prêtres de Pharaon en font autant ; s’il change toutes les eaux de l’Égypte en sang, jusqu’à celle qui était dans les vases, les prêtres font sur-le-champ le même prodige sans qu’on puisse concevoir sur quelles eaux ces prêtres opéraient cette métamorphose, à moins qu’ils n’eussent créé de nouvelles eaux exprès. L’écrivain juif aime encore mieux être réduit nécessairement à cette absurdité que de laisser douter que les dieux d’Égypte n’eussent pas le pouvoir de changer l’eau en sang aussi bien que le Dieu de Jacob.

Mais quand celui-ci vient à remplir de poux toute la terre d’Égypte, à changer en poux toute la poussière, alors paraît sa supériorité tout entière ; les mages ne peuvent l’imiter, et on fait parler ainsi le Dieu des Juifs : Pharaon saura que rien n’est semblable à moi. Ces paroles qu’on met dans sa bouche marquent un être qui se croit seulement plus puissant que ses rivaux : il a été égalé dans la métamorphose d’une verge en serpent, et dans celle