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MOUVEMENT.

terre par leur mouvement commun ; et ils remuent si bien (quoique insensiblement) par leur mouvement propre qu’au bout de quelques siècles il ne restera rien de leurs masses, dont chaque instant détache continuellement des particules.)

— Mais, monsieur, je puis concevoir la matière en repos : donc le mouvement n’est pas de son essence.

— Vraiment, je me soucie bien que vous conceviez ou que vous ne conceviez pas la matière en repos. Je vous dis qu’elle ne peut y être.

— Cela est hardi ; et le chaos, s’il vous plaît ?

— Ah, ah ! le chaos ! si nous voulions parler du chaos, je vous dirais que tout y était nécessairement en mouvement, et que « le souffle de Dieu y était porté sur les eaux » ; que l’élément de l’eau étant reconnu existant, les autres éléments existaient aussi ; que par conséquent le feu existait, qu’il n’y a point de feu sans mouvement, que le mouvement est essentiel au feu. Vous n’auriez pas beau jeu avec le chaos.

— Hélas ! qui peut avoir beau jeu avec tous ces sujets de dispute ? Mais vous qui en savez tant, dites-moi pourquoi un corps en pousse un autre.

— Parce que la matière est impénétrable ; parce que deux corps ne peuvent être ensemble dans le même lieu ; parce qu’en tout genre le plus faible est chassé par le plus fort.

— Votre dernière raison est plus plaisante que philosophique. Personne n’a pu encore deviner la cause de la communication du mouvement.

— Cela n’empêche pas qu’il ne soit essentiel à la matière. Personne n’a pu deviner la cause du sentiment dans les animaux ; cependant, ce sentiment leur est si essentiel que si vous supprimez l’idée de sentiment vous anéantissez l’idée d’animal.

— Eh bien, je vous accorde pour un moment que le mouvement soit essentiel à la matière (pour un moment au moins, car je ne veux pas me brouiller avec les théologiens). Dites-nous donc comment une boule en fait mouvoir une autre.

— Vous êtes trop curieux ; vous voulez que je vous dise ce qu’aucun philosophe n’a pu nous apprendre.

— Il est plaisant que nous connaissions les lois du mouvement, et que nous ignorions le principe de toute communication de mouvement.

— Il en est ainsi de tout ; nous savons les lois du raisonnement, et nous ne savons pas ce qui raisonne en nous. Les canaux dans lesquels notre sang et nos liqueurs coulent nous sont très-