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OVIDE.

pays de sauvages. On y faisait des vers. Cotys, petit roi d’une partie de la Thrace, fit des vers gètes pour Ovide, Le poëte latin apprit le gète, et fit aussi des vers dans cette langue. Il semble qu’on aurait dû entendre des vers grecs dans l’ancienne patrie d’Orphée ; mais ces pays étaient alors peuplés par des nations du Nord qui parlaient probablement un dialecte tartare, une langue approchante de l’ancien slavon. Ovide ne semblait pas destiné à faire des vers tartares. Le pays des Tomites, où il fut relégué, était une partie de la Mésie, province romaine, entre le mont Hémus et le Danube. Il est situé au quarante-quatrième degré et demi, comme les plus beaux climats de la France ; mais les montagnes qui sont au sud, et les vents du nord et de l’est qui soufflent du Pont-Euxin, le froid et l’humidité des forêts et du Danube, rendaient cette contrée insupportable à un homme né en Italie : aussi Ovide n’y vécut-il pas longtemps ; il y mourut à l’âge de soixante années. Il se plaint dans ses élégies[1] du climat, et non des habitants :

Quos ego, cum loca sim vestra perosus, amo.

Ces peuples le couronnèrent de laurier, et lui donnèrent des priviléges qui ne l’empêchèrent pas de regretter Rome. C’était un grand exemple de l’esclavage des Romains, et de l’extinction de toutes les lois, qu’un homme né dans une famille équestre, comme Octave, exilât un homme d’une famille équestre, et qu’un citoyen de Rome envoyât d’un mot un autre citoyen chez les Scythes. Avant ce temps il fallait un plébiscite, une loi de la nation, pour priver un Romain de sa patrie. Cicéron, exilé par une cabale, l’avait été du moins avec les formes des lois.

Le crime d’Ovide était incontestablement d’avoir vu quelque chose de honteux dans la famille d’Octave :

Cur aliquid vidi, cur noxia lumina feci[2] ?

Les doctes n’ont pas décidé s’il avait vu Auguste avec un jeune garçon plus joli que ce Mannius dont Auguste dit qu’il n’avait point voulu, parce qu’il était trop laid ; ou s’il avait vu quelque écuyer entre les bras de l’impératrice Livie, que cet Auguste avait épousée grosse d’un autre ; ou s’il avait vu cet empereur Auguste occupé avec sa fille ou sa petite-fille ; ou enfin s’il avait vu cet

  1. De Ponto, livre IV, el. xiv, v. 24.
  2. Tristes, lib. II, ep. i, v. 103.