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OVIDE.

le chantre de l’ancienne philosophie, dit que les choses molles et dures, les légères et les pesantes, étaient mêlées ensemble :

Mollia cum duris, sine pondere habentia pondus.

(Ovid., Met., lib. I, v. 20.)

Et voici comme Bayle raisonne contre lui[1] :

« Il n’y a rien de plus absurde que de supposer un chaos qui a été homogène pendant toute une éternité, quoiqu’il eût les qualités élémentaires, tant celles qu’on nomme altératrices, qui sont la chaleur, la froideur, l’humidité et la sécheresse, que celles qu’on nomme motrices, qui sont la légèreté et la pesanteur : celle-là, cause du mouvement en haut ; celle-ci, du mouvement en bas. Une matière de cette nature ne peut point être homogène, et doit contenir nécessairement toutes sortes d’hétérogénéités. La chaleur et la froideur, l’humidité et la sécheresse, ne peuvent pas être ensemble sans que leur action et leur réaction les tempère et les convertisse en d’autres qualités qui font la forme des corps mixtes ; et comme ce tempérament se peut faire selon les diversités innombrables de combinaisons, il a fallu que le chaos renfermât une multitude incroyable d’espèces de composés. Le seul moyen de le concevoir homogène serait de dire que les qualités altératrices des éléments se modifièrent au même degré dans toutes les molécules de la matière, de sorte qu’il y avait partout précisément la même tiédeur, la même mollesse, la même odeur, la même saveur, etc. Mais ce serait ruiner d’une main ce que l’on bâtit de l’autre ; ce serait, par une contradiction dans les termes, appeler chaos l’ouvrage le plus régulier, le plus merveilleux en sa symétrie, le plus admirable en matière de proportions qui se puisse concevoir. Je conviens que le goût de l’homme s’accommode mieux d’un ouvrage diversifié que d’un ouvrage uniforme ; mais nos idées ne laissent pas de nous apprendre que l’harmonie des qualités contraires, conservée uniformément dans tout l’univers, serait une perfection aussi merveilleuse que le partage inégal qui a succédé au chaos. Quelle science, quelle puissance ne demanderait pas cette harmonie uniforme répandue dans toute la nature ? Il ne suffirait pas de faire entrer dans chaque mixte la même quantité de chacun des quatre ingrédients ; il faudrait y mettre des uns plus, des autres moins, selon que la force des uns est plus grande ou plus petite pour agir que pour résister : car on sait

  1. Dictionnaire historique et critique, remarque G du mot Ovide.