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POPULATION.

Apologie de la dragonnade et de la Saint Barthélemy[1]. Il n’y a point de ville où l’on fasse meilleure chère. D’où vient cette affluence de nourritures excellentes, si ce n’est des campagnes voisines ? Ces campagnes sont donc très-bien cultivées, elles sont donc riches. J’en dirai autant de toutes les villes de France. L’étranger est étonné de l’abondance qu’il y trouve, et d’être servi en vaisselle d’argent dans plus d’une maison.

Il y a des terrains indomptables, comme les landes de Bordeaux, la partie de la Champagne nommée pouilleuse. Ce n’est pas assurément la mauvaise administration qui a frappé de stérilité ces malheureux pays : ils n’étaient pas meilleurs du temps des druides.

C’est un grand plaisir de se plaindre et de censurer, je l’avoue. Il est doux, après avoir mangé d’un mouton de pré-salé, d’un veau de rivière, d’un caneton de Rouen, d’un pluvier de Dauphiné, d’une gelinotte ou d’un coq de bruyère de Franche-Comté ; après avoir bu du vin de Chambertin, de Sillery, d’Aï, de Frontignan ; il est doux, dis-je, de plaindre dans une digestion un peu laborieuse le sort des campagnes qui ont fourni très-chèrement toutes ces délicatesses. Voyagez, messieurs, et vous verrez si vous serez ailleurs mieux nourris, mieux abreuvés, mieux logés, mieux habillés, et mieux voitures.

Je crois l’Angleterre, l’Allemagne protestante, la Hollande, plus peuplées à proportion. La raison en est évidente : il n’y a point dans ces pays-là de moines qui jurent à Dieu d’être inutiles aux hommes. Les prêtres, n’ayant que très-peu de chose à faire, s’occupent à étudier et à propager. Ils font des enfants robustes, et leur donnent une meilleure éducation que n’en ont les enfants des marquis français et italiens.

Rome, au contraire, serait déserte sans les cardinaux, les ambassadeurs et les voyageurs. Elle ne serait, comme le temple de Jupiter-Ammon, qu’un monument illustre. On comptait, du temps des premiers Césars, des millions d’hommes dans ce territoire stérile, que les esclaves et le fumier rendaient fécond. C’était une exception à cette loi générale, que la population est d’ordinaire en raison de la bonté du sol.

  1. Caveyrac a copié cette exagération de Pluche, sans lui en faire honneur. Pluche, dans sa Concorde (ou discorde) de la Géographie, page 152, donne libéralement un million d’habitants à Paris, deux cent mille à Lyon, deux cent mille à Lille, qui n’en a pas la moitié ; cent mille à Nantes, à Marseille, à Toulouse. Il vous débite ces mensonges imprimés avec la même confiance qu’il parle du lac Sirbon et qu’il démontre le déluge. Et on nourrit l’esprit de la jeunesse de ces extravagances ! (Note de Voltaire.)