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POURQUOI (LES).

-Jacques et sur le quai des Augustins, mais vous achetez hardiment les traductions faites dans tous les patois dérivés de la langue latine, traductions ornées de notes savantes qui éclaircissent la doctrine du matérialisme, qui rassemblent toutes les preuves contre la Divinité, et qui l’anéantiraient si elle pouvait être détruite. Vous trouvez ce livre relié en maroquin dans la belle bibliothèque d’un grand prince dévot, d’un cardinal, d’un chancelier, d’un archevêque, d’un président à mortier ; mais on condamna les dix-huit premiers livres de l’histoire du sage de Thou, dès qu’ils parurent. Un pauvre philosophe welche[1] ose-t-il imprimer, en son propre et privé nom, que si les hommes étaient nés sans doigts ils n’auraient jamais pu travailler en tapisserie, aussitôt un autre Welche[2], revêtu, pour son argent, d’un office de robe, requiert qu’on brûle le livre et l’auteur.

Pourquoi les spectacles sont-ils anathématisés par certaines gens qui se disent du premier ordre de l’État, tandis que les spectacles sont nécessaires à tous les ordres de l’État, tandis qu’ils sont payés par le souverain de l’État, qu’ils contribuent à la gloire de l’État, et que les lois de l’État les maintiennent avec autant de splendeur que de régularité ?

Pourquoi abandonne-t-on au mépris, à l’avilissement, à l’oppression, à la rapine, le grand nombre de ces hommes laborieux et innocents qui cultivent la terre tous les jours de l’année pour vous en faire manger tous les fruits ; et qu’au contraire on respecte, on ménage, on courtise l’homme inutile, et souvent très-méchant, qui ne vit que de leur travail, et qui n’est riche que de leur misère ?

Pourquoi, pendant tant de siècles, parmi tant d’hommes qui font croître le blé dont nous sommes nourris, ne s’en trouva-t-il aucun qui découvrît cette erreur ridicule, laquelle enseigne que le blé doit pourrir pour germer, et mourir pour renaître ; erreur qui a produit tant d’assertions impertinentes, tant de fausses comparaisons, tant d’opinions ridicules ?

Pourquoi, les fruits de la terre étant si nécessaires pour la conservation des hommes et des animaux, voit-on cependant tant d’années et tant de contrées où ces fruits manquent absolument ?

Pourquoi la terre est-elle couverte de poisons dans la moitié de l’Afrique et de l’Amérique ?

  1. Helvétius : voyez la note à l’article Homme, tome XIX, page 375.
  2. Joly de Fleury.