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QUISQUIS. RAMUS.

eu pour objet la manière dont on devait prononcer quisquis et quanquam.

Cette grande dispute partagea longtemps tous les régents de collége et tous les maîtres de pension du xvie siècle ; mais elle est assoupie aujourd’hui, et probablement ne se réveillera pas.

Voulez-vous apprendre[1] si « M. Gallandius Torticolis passait M. Ramus son ennemi en l’art oratoire, ou si M. Ramus passait M. Gallandius Torticolis », vous pourrez vous satisfaire en consultant Thomas Freigius, in vita Rami[2] : car Thomas Freigius est un auteur qui peut être utile aux curieux, quoi qu’en dise Banosius.

Mais que ce Ramus ou La Ramée, fondateur d’une chaire de mathématiques au Collége royal de Paris, bon philosophe dans un temps où l’on ne pouvait guère en compter que trois, Montaigne, Charron, et de Thou l’historien ; que ce Ramus, homme vertueux dans un siècle de crimes, homme aimable dans la société, et même, si on veut, bel esprit ; qu’un tel homme, dis-je, ait été persécuté toute sa vie, qu’il ait été assassiné par des professeurs et des écoliers de l’Université ; qu’on ait traîné les lambeaux de son corps sanglant aux portes de tous les colléges, comme une juste réparation faite à la gloire d’Aristote ; que cette horreur, dis-je encore, ait été commise à l’édification des âmes catholiques et pieuses ! ô Français ! avouez que cela est un peu welche.

On me dit que depuis ces temps les choses sont bien changées, en Europe, que les mœurs se sont adoucies, qu’on ne persécute plus les gens jusqu’à la mort. Quoi donc ! n’avons-nous pas déjà observé[3] dans ce Dictionnaire que le respectable Barneveldt, le premier homme de la Hollande, mourut sur l’échafaud pour la plus folle et la plus impertinente dispute qui ait jamais troublé les cerveaux théologiques ?

Que le procès criminel du malheureux Théophile n’eut sa source que dans quatre vers d’une ode que les jésuites Garasse et Voisin lui imputèrent, qu’ils le poursuivirent avec la fureur la plus violente et les artifices les plus noirs, qu’ils le firent brûler en effigie[4] ?

  1. Voyez Brantôme, Hommes illustres, tome II. (Note de Voltaire.)
  2. La vie de Ramus, par Jean-Thomas Freig, ou Frey, qui avait été son disciple, est imprimée en tête des éditions de 1574 et 1580, in-4o, des Prœlectiones in orationes octo consulares. (B.)
  3. Ce morceau, qui faisait partie du Dictionnaire philosophique dès 1764, n’avait pas été reproduit dans les Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  4. Voyez l’article Théophile, au chapitre Athéisme. (Note de Voltaire.) — Le morceau sur Théophile, qu’on lisait dans l’arlicle où Voltaire renvoie, était la répétition de la septième des Lettres à Son Altesse monseigneur le prince de *** (Mélanges, année 1767). (B.)