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STYLE.

source d’un défaut si commun vient, me semble, du reproche de pédantisme qu’on a fait longtemps et justement aux auteurs : In vitium ducit culpæ fuga[1]. On a tant répété qu’on doit écrire du ton de la bonne compagnie que les auteurs les plus sérieux sont devenus plaisants, et, pour être de bonne compagnie avec leurs lecteurs, ont dit des choses de très-mauvaise compagnie.

On a voulu parler de science comme Voiture parlait à Mlle Paulet de galanterie, sans songer que Voiture même n’avait pas saisi le véritable goût de ce petit genre dans lequel il passa pour exceller : car souvent il prenait le faux pour le délicat, et le précieux pour le naturel. La plaisanterie n’est jamais bonne dans le genre sérieux, parce qu’elle ne porte jamais que sur un côté des objets qui n’est pas celui que l’on considère : elle roule presque toujours sur des rapports faux, sur des équivoques ; de là vient que les plaisants de profession ont presque tous l’esprit faux autant que superficiel.

Il me semble qu’en poésie on ne doit pas plus mélanger les styles qu’en prose. Le style marotique a depuis quelque temps gâté un peu la poésie par cette bigarrure de termes bas et nobles, surannés et modernes ; on entend dans quelques pièces de morale les sons du sifflet de Rabelais parmi ceux de la flûte d’Horace.

Il faut parler français : Boileau n’eut qu’un langage ;
Son esprit était juste, et son style était sage.
Sers-toi de ses leçons : laisse aux esprits mal faits
L’art de moraliser du ton de Rabelais[2].

J’avoue que je suis révolté de voir dans une épître sérieuse les expressions suivantes :

« Des rimeurs disloqués, à qui le cerveau tinte[3],
Plus amers qu’aloès et jus de coloquinte,

  1. Horace, de Arte poet., vers 31.
  2. Ces vers sont de Voltaire : voyez les variantes du septième Discours sur l’homme.
  3. Ce ne sont pas tout à fait les vers, mais ce sont les expressions de J.-B. Rousseau, livre Ier, épître iii, à Clément Marot :

    Me défigure en ses vers ostrogoths....
    De chiffonniers de la double colline....
    Ta plume baptisa
    De noms trop doux gens de tel acabit :
    Ce sont trop bien maroufles que Dieu fit....
    Ce rimeur si sucré
    Devient amer, quand le cerveau lui tinte,
    Plus qu’aloès et jus de coloquinte.