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SUPERSTITION.

La France se vante d’être moins superstitieuse qu’on ne l’est devers Saint-Jacques de Compostelle et devers Notre-Dame de Lorette. Cependant que de sacristies où vous trouvez encore des pièces de la robe de la Vierge, des roquilles de son lait, des rognures de ses cheveux ! Et n’avez-vous pas encore dans l’église du Puy-en-Velai le prépuce de son fils, conservé précieusement ?

Vous connaissez tous l’abominable farce qui se joue depuis les premiers jours du xive siècle dans la chapelle de Saint-Louis, au Palais de Paris, la nuit de chaque jeudi saint au vendredi. Les possédés du royaume se donnent rendez-vous dans cette église ; les convulsions de Saint-Médard n’approchent pas des horribles simagrées, des hurlements épouvantables, des tours de force que font ces malheureux. On leur donne à baiser un morceau de la vraie croix, enchâssé dans trois pieds d’or et orné de pierreries. Alors les cris et les contorsions redoublent. On apaise le diable en donnant quelques sous aux énergumènes ; mais pour les mieux contenir, on a dans l’église cinquante archers du guet, la baïonnette au bout du fusil.

La même exécrable comédie se joue à Saint-Maur. Je vous citerais vingt exemples semblables ; rougissez, et corrigez-vous.

Il est des sages qui prétendent qu’on doit laisser au peuple ses superstitions, comme on lui laisse ses guinguettes, etc. ;

Que de tout temps il a aimé les prodiges, les diseurs de bonne aventure, les pèlerinages et les charlatans ; que dans l’antiquité la plus reculée on célébrait Bacchus sauvé des eaux, portant des cornes, faisant jaillir d’un coup de sa baguette une source de vin d’un rocher, passant la mer Rouge à pied sec, avec tout son peuple, arrêtant le soleil et la lune, etc. ;

Qu’à Lacédémone on conservait les deux œufs dont accoucha Léda, pendants à la voûte d’un temple ; que dans quelques villes de la Grèce les prêtres montraient le couteau avec lequel on avait immolé Iphigénie, etc.

Il est d’autres sages qui disent : Aucune de ces superstitions n’a produit du bien ; plusieurs ont fait de grands maux : il faut donc les abolir.

SECTION II[1].

Je vous prie, mon cher lecteur, de jeter un coup d’œil sur le miracle qui vient de s’opérer en Basse-Bretagne, dans l’année

  1. Voyez la note 2 de la page précédente.