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THÉOCRATIE.

Sous les rois de Juda et d’Israël, ce ne fut qu’une longue suite d’assassinats et de guerres civiles. Ces horreurs ne furent interrompues que par l’extinction entière de dix tribus, ensuite par l’esclavage de deux autres, et par la ruine de la ville, au milieu de la famine et de la peste. Ce n’était pas là un gouvernement divin.

Quand les esclaves juifs revinrent à Jérusalem, ils furent soumis aux rois de Perse, au conquérant Alexandre et à ses successeurs. Il paraît qu’alors Dieu ne régnait pas immédiatement sur ce peuple, puisqu’un peu avant l’invasion d’Alexandre, le pontife Jean assassina le prêtre Jésus, son frère, dans le temple de Jérusalem, comme Salomon avait assassiné son frère Adonias sur l’autel.

L’administration était encore moins théocratique quand Antiochus Épiphane, roi de Syrie, se servit de plusieurs Juifs pour punir ceux qu’il regardait comme rebelles[1]. Il leur défendit à tous de circoncire leurs enfants sous peine de mort[2] ; il fit sacrifier des porcs dans leur temple, brûler les portes, détruire l’autel, et les épines remplirent toute l’enceinte.

Matathias se mit contre lui à la tête de quelques citoyens ; mais il ne fut pas roi. Son fils Judas Machabée, traité de Messie, périt après des efforts glorieux.

À ces guerres sanglantes succédèrent des guerres civiles. Les Jérosolymites détruisirent Samarie, que les Romains rebâtirent ensuite sous le nom de Sebaste.

Dans ce chaos de révolutions, Aristobule, de la race des Machabées, fils d’un grand-prêtre, se fit roi plus de cinq cents ans après la ruine de Jérusalem. Il signala son règne comme quelques sultans turcs, en égorgeant son frère, et en faisant périr sa mère. Ses successeurs l’imitèrent jusqu’au temps où les Romains punirent tous ces barbares. Rien de tout cela n’est théocratique.

Si quelque chose donne une idée de la théocratie, il faut convenir que c’est le pontificat de Rome[3] : il ne s’explique jamais

  1. Livre VII. (Note de Voltaire.)
  2. Livre XI. (Id.)
  3. Rome encore aujourd’hui, consacrant ces maximes,
    Joint le trône à rautel par des nœuds légitimes.

    Jean-George Lefranc, évêque du Puy-en-Velai, prétend que c’est mal raisonner ; il est vrai qu’on pourrait nier les nœuds légitimes. Mais il pourrait bien raisonner lui-même fort mal. Il ne voit pas que le pape ne devint souverain qu’en abusant de son titre de pasteur, qu’en changeant sa houlette en sceptre ; ou plutôt il ne veut pas le voir. À l’égard de la paix des Romains modernes, c’est la tranquillité de l’apoplexie. (Note de Voltaire.) — Les vers par lesquels commence cette note sont de Voltaire lui-même, Poëme sur la loi naturelle, quatrième partie.