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TOLÉRANCE.

peu près le quart du monde connu, la liberté entière de conscience est établie ; et pourvu qu’on y croie un Dieu, toute religion est bien reçue, moyennant quoi le commerce fleurit et la population augmente.

Réfléchissons toujours que la première loi de l’empire de Russie, plus grand que l’empire romain, est la tolérance de toute secte.

L’empire turc et le persan usèrent toujours de la même indulgence. Mahomet II, en prenant Constantinople, ne força point les Grecs à quitter leur religion, quoiqu’il les regardât comme des idolâtres. Chaque père de famille grec en fut quitte pour cinq ou six écus par an. On leur conserva plusieurs prébendes et plusieurs évêchés ; et même encore aujourd’hui le sultan turc fait des chanoines et des évêques, sans que le pape ait jamais fait un iman ou un mollah.

Mes amis, il n’y a que quelques moines, et quelques protestants aussi sots et aussi barbares que ces moines, qui soient encore intolérants.

Nous avons été si infectés de cette fureur que, dans nos voyages de long cours, nous l’avons portée à la Chine, au Tonquin, au Japon. Nous avons empesté ces beaux climats. Les plus indulgents des hommes ont appris de nous à être les plus inflexibles. Nous leur avons dit d’abord pour prix de leur bon accueil : Sachez que nous sommes sur la terre les seuls qui aient raison, et que nous devons être partout les maîtres. Alors on nous a chassés pour jamais ; il en a coûté des flots de sang : cette leçon a dû nous corriger.

SECTION V[1].

L’auteur de l’article précédent est un bonhomme qui voulait souper avec un quaker, un anabaptiste, un socinien, un musulman, etc. Je veux pousser plus loin l’honnêteté, je dirai à mon frère le Turc : « Mangeons ensemble une bonne poule au riz en invoquant Allah ; ta religion me parait très-respectable, tu n’adores qu’un Dieu, tu es obligé de donner en aumônes tous les ans le denier quarante de ton revenu, et de te réconcilier avec tes ennemis le jour du bairam. Nos bigots qui calomnient la terre ont dit mille fois que ta religion n’a réussi que parce qu’elle est toute sensuelle. Ils en ont menti, les pauvres gens ; ta religion est très-austère, elle ordonne la prière cinq fois par jour, elle impose le

  1. Section ii dans les Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)