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VENISE.

Toute la France répétait, et croyait répéter après le cardinal de Richelieu, que la vénalité des offices de judicature était très-avantageuse.

L’abbé de Saint-Pierre fut le premier qui, croyant encore que le prétendu testament était du cardinal, osa dire dans ses observations sur le chapitre iv : « Le cardinal s’est engagé dans un mauvais pas en soutenant que, quant à présent, la vénalité des charges peut être avantageuse à l’État. Il est vrai qu’il n’est pas possible de rembourser toutes les charges. »

Ainsi, non-seulement cet abus paraissait à tout le monde irréformable, mais utile ; on était si accoutumé à cet opprobre qu’on ne le sentait pas : il semblait éternel ; un seul homme en peu de mois l’a su anéantir.

Répétons donc qu’on peut tout faire, tout corriger ; que le grand défaut de presque tous ceux qui gouvernent est de n’avoir que des demi-volontés et des demi-moyens. Si Pierre le Grand n’avait pas voulu fortement, deux mille lieues de pays seraient encore barbares.

Comment donner de l’eau dans Paris à trente mille maisons qui en manquent ? comment payer les dettes de l’État ? comment se soustraire à la tyrannie révérée d’une puissance étrangère qui n’est pas une puissance, et à laquelle on paye en tribut les premiers fruits ? Osez le vouloir, et vous en viendrez à bout plus aisément que vous n’avez extirpé les jésuites et purgé le théâtre de petits-maîtres.



VENISE[1],
ET, PAR OCCASION, DE LA LIBERTÉ.

Nulle puissance ne peut reprocher aux Vénitiens d’avoir acquis leur liberté par la révolte ; nulle ne peut leur dire : Je vous ai affranchis, voilà le diplôme de votre manumission.

Ils n’ont point usurpé leurs droits comme les Césars usurpèrent l’empire, comme tant d’évêques, à commencer par celui de Rome, ont usurpé les droits régaliens : ils sont seigneurs de Venise (si l’on ose se servir de cette audacieuse comparaison) comme Dieu est seigneur de la terre, parce qu’il l’a fondée.

Attila, qui ne prit jamais le titre de fléau de Dieu, va ravageant l’Italie. Il en avait autant de droit qu’en eurent depuis

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie. 1772. (B.)