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VISION DE CONSTANTIN.

dit que, depuis la première apparition, il combattit deux fois les Byzantins sans leur opposer la croix, et ne s’en serait pas même souvenu, s’il n’eût perdu neuf mille hommes, et s’il n’eût encore deux fois la même vision. Dans la première, les étoiles étaient arrangées de façon qu’elles formaient ces mots d’un psaume[1] : Invoque-moi au jour de la détresse, je t’en délivrerai, et tu m’honoreras ; et l’inscription de la dernière, beaucoup plus claire et plus nette encore, portait : Par ce signe tu vaincras tous les ennemis.

Philostorge assure que la vision de la croix et la victoire remportée sur Maxence déterminèrent Constantin à embrasser la foi chrétienne ; mais Rufin, qui a traduit en latin l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, dit qu’il favorisait déjà le christianisme et honorait le vrai Dieu. L’on sait cependant qu’il ne reçut le baptême que peu de jours avant de mourir, comme le disent expressément Philostorge[2], saint Athanase[3], saint Ambroise[4], saint Jérôme[5], Socrate[6], Théodoret[7], et l’auteur de la Chronique d’Alexandrie[8]. Cet usage, commun alors, était fondé sur la croyance que le baptême effaçant tous les péchés de celui qui le reçoit, on mourait assuré de son salut.

Nous pourrions nous borner à ces réflexions générales ; mais, par surabondance de droit, discutons l’autorité d’Eusèbe comme historien, et celle de Constantin et d’Arthémius comme témoins oculaires.

Pour Arthémius, nous ne pensons pas qu’on doive le mettre au rang des témoins oculaires, son discours n’étant fondé que sur ses Actes, rapportés par Métaphraste, auteur fabuleux. Actes que Baronius prétend à tort de pouvoir défendre, en même temps qu’il avoue qu’on les a interpolés.

Quant au discours de Constantin rapporté par Eusèbe, c’est, sans contredit, une chose étonnante que cet empereur ait craint de n’en être pas cru à moins qu’il ne fit serment, et qu’Eusèbe n’ait appuyé son témoignage par celui d’aucun des officiers ou des soldats de l’armée. Mais sans adopter ici l’opinion de quelques savants, qui doutent qu’Eusèbe soit l’auteur de la vie de Constantin, n’est-ce pas un témoin qui, dans cet ouvrage, revêt partout le caractère de panégyriste plutôt que celui d’historien ? N’est-ce pas un écrivain qui a supprimé soigneusement tout ce qui pou-

  1. Ps. xlix, v. 16. (Note de Voltaire.)
  2. Livre VI, chapitre vi. (Id.)
  3. Page 917, sur le Synode. (Id.)
  4. Oraison sur la mort de Théodose. (Id.)
  5. Chron., année 337. (Note de Voltaire.)
  6. Livre II, chapitre xlvii. (Id.)
  7. Chapitre xxxii. (Id.)
  8. Page 684. (Id.)