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VOYAGE DE SAINT PIERRE À ROME.

— Ce n’est pas nous satisfaire. Croyez-vous deux volontés ou une ?

— Écoutez : si ces deux volontés sont semblables, c’est comme s’il n’y en avait qu’une seule ; si elles sont contraires, celui qui aura deux volontés à la fois fera deux choses contraires à la fois, ce qui est absurde ; par conséquent, je suis pour une seule volonté.

— Ah ! saint-père, vous êtes monothélite. À l’hérésie ! à l’hérésie ! au diable ! à l’excommunication, à la déposition ! un concile, vite un autre concile ! un autre empereur, un autre évêque de Rome, un autre patriarche !

— Mon Dieu ! que ces pauvres Grecs sont fous avec toutes leurs vaines et interminables disputes, et que mes successeurs feront bien de songer à être puissants et riches ! »

À peine Honorius avait proféré ces paroles qu’il apprit que l’empereur Héraclius était mort après avoir été bien battu par les mahométans. Sa veuve Martine empoisonna son beau-fils ; le sénat fit couper la langue à Martine, et le nez à un autre fils de l’empereur. Tout l’empire grec nagea dans le sang.

N’eût-il pas mieux valu ne point disputer sur les deux volontés ? Et ce pape Honorius, contre lequel les jansénistes ont tant écrit, n’était-il pas un homme très-sensé ?



VOYAGE DE SAINT PIERRE À ROME[1].


La fameuse dispute, si Pierre fit le voyage de Rome, n’est-elle pas au fond aussi frivole que la plupart des autres grandes disputes ? Les revenus de l’abbaye de Saint-Denis en France ne dépendent ni de la vérité du voyage de saint Denis l’aréopagite d’Athènes au milieu des Gaules, ni de son martyre à Montmartre, ni de l’autre voyage qu’il fit, après sa mort, de Montmartre à Saint-Denis, en portant sa tête entre ses bras, et en la baisant à chaque pause.

Les chartreux ont de très-grands biens, sans qu’il y ait la moindre vérité dans l’histoire du chanoine de Paris qui se leva de sa bière à trois jours consécutifs pour apprendre aux assistants qu’il était damné.

De même, il est bien sûr que les revenus et les droits du pontife romain peuvent subsister, soit que Simon Barjone, surnommé Céphas, ait été à Rome, soit qu’il n’y ait pas été. Tous les droits

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.) — Voyez aussi l’article Pierre (Saint).