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ZÈLE.
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tant d’années dans une secte où l’on enseignait publiquement de telles abominations ? Et comment aurait-il eu le front de la défendre contre les catholiques ?

De cette preuve de raisonnement, passons aux preuves de fait et de témoignage alléguées par saint Augustin, et voyons si elles sont plus solides. » On dit, continue ce Père[1], que quelques-uns d’eux ont confessé ce fait dans des jugements publics, non-seulement dans la Paphlagonie, mais aussi dans les Gaules, comme je l’ai ouï dire à Rome par un certain catholique. »

De pareils ouï-dire méritent si peu d’attention que saint Augustin n’osa en faire usage dans sa conférence avec Fortunat, quoiqu’il y eût sept à huit ans qu’il avait quitté Rome ; il semble même avoir oublié le nom du catholique de qui il les tient. Il est vrai que dans son livre des Hérésies, le même saint Augustin parle des confessions de deux filles, nommées l’une Marguerite et l’autre Eusébie, et de quelques manichéens qui, ayant été découverts à Carthage et menés à l’église, avouèrent, dit-on, l’horrible fait dont il s’agit.

Il ajoute qu’un certain Viator déclara que ceux qui commettaient ces infamies s’appelaient catharistes ou purgateurs ; et qu’interrogés sur quelle écriture ils appuyaient cette affreuse pratique, ils produisaient le passage du Trésor de Manichée, dont on a démontré la falsification. Mais nos hérétiques, bien loin de s’en servir, l’auraient hautement désavoué comme l’ouvrage de quelque imposteur qui voulait les perdre. Cela seul rend suspects tous ces actes de Carthage que Quod-vult-Deus avait envoyés à saint Augustin ; et ces misérables, découverts et conduits à l’église, ont bien la mine d’être des gens apostés pour avouer tout ce qu’on voulait qu’ils avouassent.

Au chapitre xlvii de la Nature du bien, saint Augustin avoue que, lorsqu’on reprochait à nos hérétiques les crimes en question, ils répondaient qu’un de leurs élus, déserteur de leur secte, et devenu leur ennemi, avait introduit cette énorme pratique. Sans examiner si cette secte que Viator nommait des catharistes était réelle, il suffit d’observer ici que les premiers chrétiens imputaient de même aux gnostiques les horribles mystères dont ils étaient accusés par les Juifs et par les païens ; et si cette apologie est bonne dans leur bouche, pourquoi ne le serait-elle pas dans celle des manichéens ?

C’est cependant ces bruits populaires que M. de Tillemont, qui se pique d’exactitude et de fidélité, ose convertir en faits certains.

  1. Chapitre xlvii, de la Nature du bien. (Note de Voltaire.)