Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/214

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Il entra par le faubourg Saint-Marceau[1], et crut être dans le plus vilain village de la Vestphalie.

À peine Candide fut-il dans son auberge, qu’il fut attaqué d’une maladie légère, causée par ses fatigues. Comme il avait au doigt un diamant énorme, et qu’on avait aperçu dans son équipage une cassette prodigieusement pesante, il eut aussitôt auprès de lui deux médecins qu’il n’avait pas mandés, quelques amis intimes qui ne le quittèrent pas, et deux dévotes qui faisaient chauffer ses bouillons. Martin disait : « Je me souviens d’avoir été malade aussi à Paris dans mon premier voyage ; j’étais fort pauvre : aussi n’eus-je ni amis, ni dévotes, ni médecins, et je guéris. »

Cependant, à force de médecines et de saignées, la maladie de Candide devint sérieuse. Un habitué du quartier vint avec douceur lui demander un billet payable au porteur pour l’autre monde : Candide n’en voulut rien faire ; les dévotes l’assurèrent que c’était une nouvelle mode[2] ; Candide répondit qu’il n’était point homme à la mode. Martin voulut jeter l’habitué par les fenêtres. Le clerc jura qu’on n’enterrerait point Candide. Martin jura qu’il enterrerait le clerc s’il continuait à les importuner. La querelle s’échauffa : Martin le prit par les épaules, et le chassa rudement ; ce qui causa un grand scandale, dont on fit un procès-verbal.

Candide guérit ; et pendant sa convalescence il eut très-bonne compagnie à souper chez lui. On jouait gros jeu. Candide était tout étonné que jamais les as ne lui vinssent ; et Martin ne s’en étonnait pas.

Parmi ceux qui lui faisaient les honneurs de la ville, il y avait un petit abbé périgourdin, l’un de ces gens empressés, toujours alertes, toujours serviables, effrontés, caressants, accommodants, qui guettent les étrangers à leur passage, leur content l’histoire scandaleuse de la ville, et leur offrent des plaisirs à tout prix. Celui-ci mena d’abord Candide et Martin à la comédie. On y jouait une tragédie nouvelle. Candide se trouva placé auprès de quelques beaux esprits. Cela ne l’empêcha pas de pleurer à des scènes jouées parfaitement. Un des raisonneurs qui étaient à ses côtés lui dit dans un entr’acte : « Vous avez grand tort de pleurer, cette actrice est fort mauvaise ; l’acteur qui joue avec elle est plus mau-

  1. Comparez ce tableau de Paris à celui que Voltaire a déjà esquissé dans Babouc.
  2. Affaire des billets de confession. Voyez, tome XV, le Précis du Siècle de Louis XV, chapitre xxxvi.