Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/255

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« C’est pour cela même, dit-il, que je veux lui parler. » Il presse tant qu’il est introduit. « Monseigneur, dit-il, que Dieu couronne tous vos jours de gloire et de magnificence ! votre gendre est un fripon.

— Comment un fripon ! qu’osez-vous dire ? est-ce ainsi qu’on parle à un duc de Cachemire du gendre qu’il a choisi ?

— Oui, un fripon, reprit Rustan ; et pour le prouver à Votre Altesse, c’est que voici votre diamant que je vous rapporte. »

Le duc, tout étonné ; confronta les deux diamants ; et comme il ne s’y connaissait guère, il ne put dire quel était le véritable. « Voilà deux diamants, dit-il, et je n’ai qu’une fille ; me voilà dans un étrange embarras ! » Il fit venir Barbabou, et lui demanda s’il ne l’avait point trompé. Barbabou jura qu’il avait acheté son diamant d’un Arménien ; l’autre ne disait pas de qui il tenait le sien, mais il proposa un expédient : ce fut qu’il plût à Son Altesse de le faire combattre sur-le-champ contre son rival. « Ce n’est pas assez que votre gendre donne un diamant, disait-il ; il faut aussi qu’il donne des preuves de valeur : ne trouvez-vous pas bon que celui qui tuera l’autre épouse la princesse ?

— Très-bon, répondit le prince, ce sera un fort beau spectacle pour la cour ; battez-vous vite tous deux : le vainqueur prendra les armes du vaincu, selon l’usage de Cachemire, et il épousera ma fille. »

Les deux prétendants descendent aussitôt dans la cour. Il y avait sur l’escalier une pie et un corbeau. Le corbeau criait : « Battez-vous, battez-vous ; » la pie : « Ne vous battez pas. » Cela fit rire le prince ; les deux rivaux y prirent garde à peine : ils commencent le combat ; tous les courtisans faisaient un cercle autour d’eux. La princesse, se tenant toujours renfermée dans sa tour, ne voulut point assister à ce spectacle ; elle était bien loin de se douter que son amant fût à Cachemire, et elle avait tant d’horreur pour Barbabou qu’elle ne voulait rien voir. Le combat se passa le mieux du monde ; Barbabou fut tué roide, et le peuple en fut charmé, parce qu’il était laid, et que Rustan était fort joli : c’est presque toujours ce qui décide de la faveur publique.

Le vainqueur revêtit la cotte de mailles, l’écharpe, et le casque du vaincu, et vint, suivi de toute la cour, au son des fanfares, se présenter sous les fenêtres de sa maîtresse. Tout le monde criait : « Belle princesse, venez voir votre beau mari qui a tué son vilain rival » ; ses femmes répétaient ces paroles. La princesse mit par malheur la tête à la fenêtre, et voyant l’armure d’un homme qu’elle abhorrait, elle courut en désespérée à son coffre de la Chine, et tira le javelot fatal qui alla percer son cher Rustan au