Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/365

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D’autres philosophes ont imaginé d’autres manières qui n’ont pas fait une plus grande fortune : ce n’est plus le bras qui va chercher le bras ; ce n’est plus la cuisse qui court après la cuisse ; ce sont de petites molécules, de petites particules de bras et de cuisse qui se placent les unes sur les autres. On sera peut-être enfin obligé d’en revenir aux œufs, après avoir perdu bien du temps.

L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.

J’en suis ravi ; mais quel a été le résultat de toutes ces disputes ?

LE GÉOMÈTRE.

Le doute. Si la question avait été débattue entre des théologaux, il y aurait eu des excommunications et du sang répandu ; mais entre des physiciens la paix est bientôt faite : chacun a couché avec sa femme, sans penser le moins du monde à son ovaire, ni à ses trompes de Fallope. Les femmes sont devenues grosses ou enceintes, sans demander seulement comment ce mystère s’opère. C’est ainsi que vous semez du blé, et que vous ignorez comment le blé germe en terre[1].

L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.

Oh ! je le sais bien ; on me l’a dit il y a longtemps : c’est par pourriture[2]. Cependant il me prend quelquefois des envies de rire de tout ce qu’on m’a dit.

LE GÉOMÈTRE.

C’est une fort bonne envie. Je vous conseille de douter de tout, excepté que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits, et que les triangles qui ont même base et même hauteur sont égaux entre eux, ou autres propositions pareilles, comme, par exemple, que deux et deux font quatre.

L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.

Oui, je crois qu’il est fort sage de douter ; mais je sens que je

  1. Les observations de Haller de Spallanzani semblent avoir prouvé que l’embryon existe avant la fécondation dans l’œuf des oiseaux, et, par analogie, dans la femelle vivipare ; que la substance du sperme est nécessaire pour la fécondation, et qu’une quantité presque infiniment petite peu suffire. Mais comment, dans ce système, expliquer la ressemblance des mulets avec leurs pères ? Comment cet embryon et ce œuf se forment-ils dans la femelle ? Comment le sperme agit-il sur cet embryon ? Voilà ce qu’on ignore encore. Peut-être quelque jour en saura-t-on davantage. Les vers spermatiques ne deviennent plus du moins des hommes, ni des lapins. Quant aux molécules organiques, elles ressemblent trop aux monades ; mais remarquons, à l’honneur de Leibnitz, que jamais il ne s’est avisé de prétendre avoir vu des monades dans son microscope. (K.)
  2. Saint Paul. Corinth., xv, 36 ; et saint Jean, xii, 24.