Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/369

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dans leur germe. Au bout de cent ans la perte est immense : cela est démontré[1].

« Pourquoi donc le monachisme a-t-il prévalu ? parce que le gouvernement fut presque partout détestable et absurde depuis Constantin ; parce que l’empire romain eut plus de moines que de soldats ; parce qu’il y en avait cent mille dans la seule Égypte ; parce qu’ils étaient exempts de travail et de taxe ; parce que les chefs des nations barbares qui détruisirent l’empire, s’étant faits chrétiens pour gouverner des chrétiens, exercèrent la plus horrible tyrannie ; parce qu’on se jetait en foule dans les cloîtres pour échapper aux fureurs de ces tyrans, et qu’on se plongeait dans un esclavage pour en éviter un autre, parce que les papes, en instituant tant d’ordres différents de fainéants sacrés, se firent autant de sujets dans les autres États ; parce qu’un paysan aime mieux être appelé mon révérend père, et donner des bénédictions, que de conduire la charrue ; parce qu’il ne sait pas que la charrue est plus noble que le froc ; parce qu’il aime mieux vivre aux dépens des sots que par un travail honnête ; enfin parce qu’il ne sait pas qu’en se faisant moine il se prépare des jours malheureux, tissus d’ennui et de repentir.

— Allons, monsieur, plus de moines, pour leur bonheur et pour le nôtre. Mais je suis fâché d’entendre dire au seigneur de mon village, père de quatre garçons et de trois filles, qu’il ne saura où les placer s’il ne fait pas ses filles religieuses.

— Cette allégation trop souvent répétée est inhumaine, antipatriotique, destructive de la société.

« Toutes les fois qu’on peut dire d’un état de vie, quel qu’il puisse être, si tout le monde embrassait cet état le genre humain serait perdu, il est démontré que cet état ne vaut rien, et que celui qui le prend nuit au genre humain autant qu’il est en lui.

« Or il est clair que si tous les garçons et toutes les filles s’encloîtraient le monde périrait : donc la moinerie est par cela

  1. C’est une erreur. Le nombre des hommes dépend essentiellement de la quantité des subsistances : dans un grand État comme la France, quatre-vingt dix mille personnes enlevées à la culture et aux arts utiles causent sans doute une perte ; mais l’industrie du reste de la nation la répare sans peine. Les moines sont surtout nuisibles, parce qu’ils servent à nourrir le fanatisme et la superstition, et parce qu’ils absorbent des richesses immenses qui pourraient être employées au soulagement du peuple, ou pour l’éducation publique. Au reste, il ne serait pas impossible de calculer l’effet que peut avoir sur la population l’existence d’une classe de célibataires ; mais ce calcul serait très-compliqué, et dépend d’un beaucoup plus grand nombre d’éléments que ne l’ont cru les savants d’après le calcul desquels M. de Voltaire parle ici. (K.)