Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/374

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Il y a quelques années que l’on condamna dans la Tartarie[1] deux jeunes gens à être empalés, pour avoir regardé, leur bonnet sur la tête, passer une procession de lamas. L’empereur de la Chine[2], qui est un homme de beaucoup d’esprit, dit qu’il les aurait condamnés à marcher nu-tête à la procession pendant trois mois.

Proportionnez les peines aux délits, a dit le marquis Beccaria ; ceux qui ont fait les lois n’étaient pas géomètres.

Si l’abbé Guyon, ou Cogé, ou l’ex-jésuite Nonotte, ou l’ex-jésuite Patouillet, ou le prédicant La Beaumelle, font de misérables libelles où il n’y a ni vérité, ni raison, ni esprit, irez-vous les faire pendre, comme le prieur de D*** a fait pendre ses deux domestiques ; et cela, sous prétexte que les calomniateurs sont plus coupables que les voleurs ?

Condamnerez-vous Fréron même aux galères, pour avoir insulté le bon goût, et pour avoir menti toute sa vie dans l’espérance de payer son cabaretier ?

Ferez-vous mettre au pilori le sieur Larcher, parce qu’il a été très-pesant, parce qu’il a entassé erreur sur erreur, parce qu’il n’a jamais su distinguer aucun degré de probabilité, parce qu’il veut que, dans une antique et immense cité renommée par sa police et par la jalousie des maris, dans Babylone enfin, où les femmes étaient gardées par des eunuques, toutes les princesses allassent par dévotion donner publiquement leurs faveurs dans la cathédrale aux étrangers pour de l’argent ? Contentons-nous de l’envoyer sur les lieux courir les bonnes fortunes ; soyons modérés en tout ; mettons de la proportion entre les délits et les peines.

Pardonnons à ce pauvre Jean-Jacques, lorsqu’il n’écrit que pour se contredire, lorsqu’après avoir donné une comédie sifflée[3] sur le théâtre de Paris, il injurie ceux[4] qui en font jouer à cent lieues de là ; lorsqu’il cherche des protecteurs[5], et qu’il les outrage ; lorsqu’il déclame contre les romans, et qu’il fait des romans dont le héros est un sot précepteur qui reçoit l’aumône d’une Suissesse à laquelle il a fait un enfant, et qui va dépenser son argent dans un bordel de Paris[6] ; laissons-le croire qu’il a surpassé Fénelon et

  1. À Abbeville. (K.) — Voyez, dans les Mélanges, année 1766, la Relation de la mort du chevalier de La Barre.
  2. Le roi de Prusse. (K.) — Voyez, dans la Correspondance, sa lettre du 7 d’auguste 1766.
  3. Narcisse, ou l’Amant de lui-même, comédie en un acte et, en prose, jouée une seule fois au Théâtre-Français, le 18 décembre 1752.
  4. Voltaire.
  5. Hume.
  6. Voyez les Lettres sur la Nouvelle Héloïse.