Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/426

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

touchantes ; aucun de mes favoris n’a plus d’esprit que lui ; nul mandarin de robe n’a de plus vastes connaissances ; nul mandarin d’épée n’a l’air plus martial et plus héroïque ; son extrême jeunesse donne un nouveau prix à tous ses talents ; si j’étais assez malheureux, assez abandonné du Tien et du Changti pour vouloir être conquérant, je prierais Amazan de se mettre à la tête de mes armées, et je serais sûr de triompher de l’univers entier. C’est bien dommage que son chagrin lui dérange quelquefois l’esprit.

— Ah ! monsieur, lui dit Formosante avec un air enflammé et un ton de douleur, de saisissement et de reproche, pourquoi ne m’avez-vous pas fait dîner avec lui ? Vous me faites mourir ; envoyez-le prier tout à l’heure.

— Madame, il est parti ce matin, et il n’a point dit dans quelle contrée il portait ses pas. »

Formosante se tourna vers le phénix : « Eh bien, dit-elle, phénix, avez-vous jamais vu une fille plus malheureuse que moi ? Mais, monsieur, continua-t-elle, comment, pourquoi a-t-il pu quitter si brusquement une cour aussi polie que la vôtre, dans laquelle il me semble qu’on voudrait passer sa vie ?

— Voici, madame, ce qui est arrivé. Une princesse du sang, des plus aimables, s’est éprise de passion pour lui, et lui a donné un rendez-vous chez elle à midi ; il est parti au point du jour, et il a laissé ce billet, qui a coûté bien des larmes à ma parente.

« Belle princesse du sang de la Chine, vous méritez un cœur qui n’ait jamais été qu’à vous ; j’ai juré aux dieux immortels de n’aimer jamais que Formosante, princesse de Babylone, et de lui apprendre comment on peut dompter ses désirs dans ses voyages ; elle a eu le malheur de succomber avec un indigne roi d’Égypte : je suis le plus malheureux des hommes ; j’ai perdu mon père et le phénix, et l’espérance d’être aimé de Formosante ; j’ai quitté ma mère affligée, ma patrie, ne pouvant vivre un moment dans les lieux où j’ai appris que Formosante en aimait un autre que moi ; j’ai juré de parcourir la terre et d’être fidèle. Vous me mépriseriez, et les dieux me puniraient, si je violais mon serment ; prenez un amant, madame, et soyez aussi fidèle que moi. »

— Ah ! laissez-moi cette étonnante lettre, dit la belle Formosante, elle fera ma consolation ; je suis heureuse dans mon infortune. Amazan m’aime ; Amazan renonce pour moi à la possession des princesses de la Chine ; il n’y a que lui sur la terre capable de remporter une telle victoire ; il me donne un grand exemple ;