Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/449

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à sa toilette, riait, chantait, et faisait des agaceries au bel Amazan, qui s’aperçut enfin qu’elle n’avait pas le sens d’un oison.

Comme la sincérité, la cordialité, la franchise, ainsi que la magnanimité et le courage, composaient le caractère de ce grand prince, il avait conté ses malheurs et ses voyages à ses amis ; ils savaient qu’il était cousin issu de germain de la princesse ; ils étaient informés du baiser funeste donné par elle au roi d’Égypte. « On se pardonne, lui dirent-ils, ces petites frasques entre parents, sans quoi il faudrait passer sa vie dans d’éternelles querelles. » Rien n’ébranla son dessein de courir après Formosante ; mais, sa voiture n’étant pas prête, il fut obligé de passer trois jours parmi les oisifs dans les fêtes et dans les plaisirs ; enfin il prit congé d’eux en les embrassant, en leur faisant accepter les diamants de son pays les mieux montés, en leur recommandant d’être toujours légers et frivoles, puisqu’ils n’en étaient que plus aimables et plus heureux. « Les Germains, disait-il, sont les vieillards de l’Europe ; les peuples d’Albion sont les hommes faits ; les habitants de la Gaule sont les enfants, et j’aime à jouer avec eux. »


CHAPITRE XXI.

AMAZON VOLE AU DELÀ DES PYRÉNÉES. IL RENCONTRE LE PHÉNIX, QUI LUI RACONTE LE MALHEUR DE FORMOSANTE. AMAZAN LA DÉLIVRE DU DANGER D’ÊTRE BRÛLÉE, ET ANÉANTIT LES BRÛLEURS. IL SE RÉCONCILIE AVEC FORMOSANTE.


Ses guides n’eurent pas de peine à suivre la route de la princesse ; on ne parlait que d’elle et de son gros oiseau. Tous les habitants étaient encore dans l’enthousiasme de l’admiration. Les peuples de la Dalmatie et de la Marche d’Ancône éprouvèrent depuis une surprise moins délicieuse quand ils virent une maison voler dans les airs ; les bords de la Loire, de la Dordogne, de la Garonne, de la Gironde, retentissaient encore d’acclamations.

Quand Amazan fut au pied des Pyrénées, les magistrats et les druides du pays lui firent danser malgré lui un tambourin ; mais sitôt qu’il eut franchi les Pyrénées, il ne vit plus de gaieté et de joie. S’il entendit quelques chansons de loin à loin, elles étaient toutes sur un ton triste : les habitants marchaient gravement avec des grains enfilés et un poignard à leur ceinture. La nation, vêtue de noir, semblait être en deuil. Si les domestiques d’Amazan