Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/514

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Pour vos autres bêtes, je n’en veux point ; mais je suis fille à tomber malade de vapeurs si vous ne me vendez ce charmant taureau blanc, qui fera toute la douceur de ma vie. »

La vieille lui baisa respectueusement les franges de sa robe de gaze, et lui dit : « Princesse, mon taureau n’est point à vendre, votre illustre mage en est instruit. Tout ce que je pourrais faire pour votre service, ce serait de le mener paître tous les jours près de votre palais, vous pourriez le caresser, lui donner des biscuits, le faire danser à votre aise. Mais il faut qu’il soit continuellement sous les yeux de toutes les bêtes qui m’accompagnent, et qui sont chargées de sa garde. S’il ne veut point s’échapper, elles ne lui feront point de mal ; mais s’il essaye encore de rompre sa chaîne, comme il a fait dès qu’il vous a vue, malheur à lui ! je ne répondrais pas de sa vie. Ce gros poisson que vous voyez l’avalerait infailliblement, et le garderait plus de trois jours dans son ventre ; ou bien ce serpent, qui vous a paru peut-être assez doux et assez aimable, lui pourrait faire une piqûre mortelle. »

Le taureau blanc, qui entendait à merveille tout ce que disait la vieille, mais qui ne pouvait parler, accepta toutes ses propositions d’un air soumis. Il se coucha à ses pieds, mugit doucement, et, regardant Amaside avec tendresse, il semblait lui dire : « Venez me voir quelquefois sur l’herbe. » Le serpent prit alors la parole, et lui dit : « Princesse, je vous conseille de faire aveuglément tout ce que mademoiselle d’Endor vient de vous dire. » L’ânesse dit aussi son mot, et fut de l’avis du serpent. Amaside était affligée que ce serpent et cette ânesse parlassent si bien, et qu’un beau taureau, qui avait les sentiments si nobles et si tendres, ne pût les exprimer. « Hélas ! rien n’est plus commun à la cour, disait-elle tout bas ; on y voit tous les jours de beaux seigneurs qui n’ont point de conversation, et des malotrus qui parlent avec assurance.

— Ce serpent n’est point un malotru, dit Mambrès ; ne vous y trompez pas : c’est peut-être la personne de la plus grande considération. »

Le jour baissait, la princesse fut obligée de s’en retourner, après avoir bien promis de revenir le lendemain à la même heure. Ses dames du palais étaient émerveillées, et ne comprenaient rien à ce qu’elles avaient vu et entendu. Mambrès faisait ses réflexions. La princesse, songeant que le serpent avait appelé la vieille mademoiselle, conclut au hasard qu’elle était pucelle, et sentit quelque affliction de l’être encore : affliction respectable, qu’elle cachait avec autant de scrupule que le nom de son amant.