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CHAPITRE V.
COMMENT LE SAGE MAMBRÈS SE CONDUISIT SAGEMENT.


Le divin Mambrès ayant dit à la princesse tout ce qu’il fallait pour la consoler, et ne l’ayant point consolée, courut aussitôt à la vieille : « Ma camarade, lui dit-il, notre métier est beau, mais il est bien dangereux ; vous courez risque d’être pendue, et votre bœuf d’être brûlé, ou noyé, ou mangé. Je ne sais pas ce qu’on fera de vos autres bêtes, car, tout prophète que je suis, je sais bien peu de choses ; mais cachez soigneusement le serpent et le poisson ; que l’un ne mette pas la tête hors de l’eau, et que l’autre ne sorte pas de son trou. Je placerai le bœuf dans une de mes écuries à la campagne ; vous y serez avec lui, puisque vous dites qu’il ne vous est pas permis de l’abandonner. Le bouc émissaire pourra dans l’occasion servir d’expiatoire ; nous l’enverrons dans le désert chargé des péchés de la troupe ; il est accoutumé à cette cérémonie, qui ne lui fait aucun mal, et l’on sait que tout s’expie avec un bouc qui se promène. Je vous prie seulement de me prêter tout à l’heure le chien de Tobie, qui est un lévrier fort agile, l’ânesse de Balaam, qui court mieux qu’un dromadaire, le corbeau et le pigeon de l’arche, qui volent très-rapidement. Je veux les envoyer en ambassade à Memphis pour une affaire de la dernière conséquence. »

La vieille repartit au mage : « Seigneur, vous pouvez disposer à votre gré du chien de Tobie, de l’ânesse de Balaam, du corbeau et du pigeon de l’arche, et du bouc émissaire ; mais mon bœuf ne peut coucher dans une écurie. Il est dit qu’il doit être attaché à une chaîne d’acier, « être toujours mouillé de la rosée, et brouter l’herbe sur la terre[1], et que sa portion sera avec les bêtes sauvages ». Il m’est confié, je dois obéir. Que penseraient de moi Daniel, Ézéchiel et Jérémie, si je confiais mon bœuf à d’autres qu’à moi-même ? Je vois que vous savez le secret de cet étrange animal : je n’ai pas à me reprocher de vous l’avoir révélé. Je vais le conduire loin de cette terre impure, vers le lac Sirbon, loin des cruautés du roi de Tanis. Mon poisson et mon serpent me défendront : je ne crains personne quand je sers mon maître. »

Le sage Mambrès repartit ainsi : « Ma bonne, la volonté de

  1. Daniel, chapitre v. (Note de Voltaire.)