Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/534

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« Le roi de l’Inde s’enferma avec sa maîtresse, et goûta une volupté parfaite avec elle. Il regardait comme le souverain bonheur la nécessité de la caresser toujours, et il plaignait le triste sort de ses deux confrères, dont l’un était réduit à tenir toujours son conseil, et l’autre à être toujours à l’opéra.

« Chacun d’eux, au bout de quelques jours, entendit par la fenêtre des bûcherons qui sortaient d’un cabaret pour aller couper du bois dans la forêt voisine, et qui tenaient sous le bras leurs douces amies dont ils pouvaient changer à volonté. Nos rois prièrent Ithuriel de vouloir bien intercéder pour eux auprès du Maître des choses, et de les faire bûcherons.

— Je ne sais pas, interrompit la tendre Amaside, si le Maître des choses leur accorda leur requête, et je ne m’en soucie guère ; mais je sais bien que je ne demanderais rien à personne si j’étais enfermée tête à tête avec mon amant, avec mon cher Nabuchodonosor. »

Les voûtes du palais retentirent de ce grand nom. D’abord Amaside n’avait prononcé que Na, ensuite Nabu, puis Nabucho ; mais, à la fin, la passion l’emporta ; elle prononça le nom fatal tout entier, malgré le serment qu’elle avait fait au roi son père. Toutes les dames du palais répétèrent Nabuchodonosor, et le malin corbeau ne manqua pas d’en aller avertir le roi. Le visage d’Amasis, roi de Tanis, fut troublé, parce que son cœur était plein de trouble. Et voilà comment le serpent, qui était le plus prudent et le plus subtil des animaux, faisait toujours du mal aux femmes en croyant bien faire.

Or Amasis en courroux envoya sur-le-champ chercher sa fille Amaside par douze de ses alguazils, qui sont toujours prêts à exécuter toutes les barbaries que le roi commande, et qui disent pour raison : « Nous sommes payés pour cela. »


CHAPITRE X.
COMMENT ON VOULUT COUPER LE COU À LA PRINCESSE, ET COMMENT ON NE LE LUI COUPA POINT.


Dès que la princesse fut arrivée toute tremblante au camp du roi son père, il lui dit : « Ma fille, vous savez qu’on fait mourir toutes les princesses qui désobéissent aux rois leurs pères, sans quoi un royaume ne pourrait être bien gouverné. Je vous avais défendu de proférer le nom de votre amant Nabuchodonosor, mon en-