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COSI-SANCTA.

dangereux qu’un autre pour l’honneur d’un mari. Il aposta des gens pour étriller frère Ribaldos : il ne fut que trop bien servi. Le jeune homme, en entrant dans la maison, est reçu par ces messieurs ; il a beau crier qu’il est un très-honnête carme, et qu’on ne traite point ainsi de pauvres religieux, il fut assommé, et mourut, à quinze jours de là, d’un coup qu’il avait reçu sur la tête. Toutes les femmes de la ville le pleurèrent. Cosi-Sancta en fut inconsolable ; Capito même en fut fâché, mais par une autre raison, car il se trouvait une très-méchante affaire sur les bras.

Ribaldos était parent du proconsul Acindynus. Ce Romain voulut faire une punition exemplaire de cet assassinat, et, comme il avait eu quelques querelles autrefois avec le présidial d’Hippone, il ne fut pas fâché d’avoir de quoi faire pendre un conseiller ; et il fut fort aise que le sort tombât sur Capito, qui était bien le plus vain et le plus insupportable petit robin du pays.

Cosi-Sancta avait donc vu assassiner son amant, et était près de voir pendre son mari ; et tout cela pour avoir été vertueuse : car, comme je l’ai déjà dit, si elle avait donné ses faveurs à Ribaldos, le mari en eût été bien mieux trompé.

Voilà comme la moitié de la prédiction du curé fut accomplie. Cosi-Sancta se ressouvint alors de l’oracle, elle craignit fort d’en accomplir le reste ; mais, ayant bien fait réflexion qu’on ne peut vaincre sa destinée, elle s’abandonna à la Providence, qui la mena au but par les chemins du monde les plus honnêtes.

Le proconsul Acindynus était un homme plus débauché que voluptueux, s’amusant très-peu aux préliminaires, brutal, familier, vrai héros de garnison, très-craint dans la province, et avec qui toutes les femmes d’Hippone avaient eu affaire, uniquement pour ne se pas brouiller avec lui.

Il fit venir chez lui Mme  Cosi-Sancta : elle arriva en pleurs ; mais elle n’en avait que plus de charmes. « Votre mari, madame, lui dit-il, va être pendu, et il ne tient qu’à vous de le sauver. — Je donnerais ma vie pour la sienne, lui dit la dame. — Ce n’est pas cela qu’on vous demande, répliqua le proconsul. — Et que faut-il donc faire ? dit-elle. — Je ne veux qu’une de vos nuits, reprit le proconsul. — Elles ne m’appartiennent pas, dit Cosi-Sancta ; c’est un bien qui est à mon mari. Je donnerai mon sang pour le sauver, mais je ne puis donner mon honneur. — Mais si votre mari y consent ? dit le proconsul. — Il est le maître, répondit la dame : chacun fait de son bien ce qu’il veut. Mais je connais mon mari, il n’en fera rien ; c’est un petit homme têtu, tout propre à se laisser pendre plutôt que de permettre qu’on me