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ÉLOGE HISTORIQUE DE LA RAISON.

« Les petites fautes ne seront point punies comme de grands crimes, parce qu’il faut de la proportion à tout. Une loi barbare[1] obscurément énoncée, mal interprétée, ne fera plus périr sous des barres de fer et dans les flammes des enfants indiscrets et imprudents, comme s’ils avaient assassiné leurs pères et leurs mères. » Ce devrait être le premier axiome de la justice criminelle.

« Les biens d’un père de famille ne seront plus confisqués, parce que les enfants ne doivent point mourir de faim pour les fautes de leur père, et que le roi n’a nul besoin de cette misérable confiscation. » À merveille ! et cela est digne de la magnanimité du souverain.

« La torture, inventée autrefois par les voleurs de grands chemins pour forcer les volés à découvrir leurs trésors, et employée aujourd’hui chez un petit nombre de nations pour sauver le coupable robuste, et pour perdre l’innocent faible de corps et d’esprit, ne sera plus en usage que dans les crimes de lèse-société au premier chef, et seulement pour avoir révélation des complices. Mais ces crimes ne se commettront jamais. » On ne peut mieux.

« Voilà les vœux que j’entends faire partout ; et j’écrirai tous ces grands changements dans mes annales, moi qui suis la Vérité.

« J’entends encore proférer autour de moi, dans tous les tribunaux, ces paroles remarquables : « Nous ne citerons plus jamais les deux puissances, parce qu’il ne peut en exister qu’une : celle du roi ou de la loi dans une monarchie ; celle de la nation dans une république. La puissance divine est d’une nature si différente et si supérieure qu’elle ne doit pas être compromise par un mélange profane avec les lois humaines. L’infini ne peut se joindre au fini, Grégoire VII fut le premier qui osa appeler l’infini à son secours dans ses guerres jusqu’alors inouïes contre Henri IV, empereur trop fini ; j’entends trop borné. Ces guerres ont ensanglanté l’Europe bien longtemps ; mais enfin on a séparé ces deux êtres vénérables qui n’ont rien de commun, et c’est le seul moyen d’être en paix. »

« Ces discours, que tiennent tous les ministres des lois, me

  1. L’édit de Louis XIV, de décembre 1666, contre les blasphémateurs, sur lequel fut basée la condamnation de La Barre ; voyez dans les Mélanges, année 1766, la Relation de la mort du chevalier de La Barre ; et dans la Correspondance, la note des éditeurs de Kehl sur la lettre du roi de Prusse, du 7 auguste 1766.